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mais les vétérans de César n’avaient pas planté sur les ruines fumantes de la ville leur aigle victorieuse. Les Parisiens avaient bien mérité de la Patrie : ne pouvant défendre leur ville, ils l’avaient brûlée ; ne pouvant vaincre, ils étaient morts. »

C’était aller chercher bien loin, — en l’an 32, — de fortifiantes leçons. L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres fil bon accueil au livre qui, en dépit de son caractère de quasi actualité, était, dit un des rapports de la savante Compagnie, « plein d’érudition. » Houssaye restait donc un « antiquaire, » mais un antiquaire que la passion patriotique travaillait.

En réalité, Alcibiade l’attendait sur sa table de travail. Les notes étaient prises ; le décor, il l’avait brossé à Athènes même et les acteurs s’agitaient dans sa tête, en pleins combats du siège : « Il faut que j’achève Alcibiade », avait-il, d’Ivry, écrit à son père.

Il l’acheva en 1872. Peut-être se sentait-il néanmoins lui-même une âme renouvelée : il tint à s’en expliquer dans sa préface : « Ce livre que nous avons commencé à Athènes, deux ans avant la Guerre, a été souvent interrompu et souvent repris. Nous ignorons si les événemens politiques auxquels nous avons assisté et la vie de soldat que nous avons menée ont pu nous faire voir plus juste sur plusieurs points de l’histoire d’Athènes. Nous savons seulement que rien n’a modifié nos idées sur la République Athénienne. »

Il disait vrai. Tout en s’attachant à cet Alcibiade, si prenant par ses qualités et plus encore par ses défauts, et à cette vie que Montaigne estimait « la plus riche que je scache à estre vescue entre les vivans, » ce personnage singulier n’est, au fond, qu’un prétexte pour Houssaye à revenir sur Athènes, sa Constitution, ses mœurs, ses hommes, son histoire ; et à cet égard, Alcibiade est un héros singulièrement bien choisi : « Vivante personnification de son temps, » il est plus : une sorte de représentant et comme de synthèse vivante de la Grèce antique. Descendant des vieux héros, membre de l’antique famille Alcméonide, neveu de Périclès, mêlé à toutes les luttes de l’Agora, puis à celles qui déchirèrent le monde hellénique du Pont-Euxin à la Sicile, élève de Socrate et camarade de Platon, ami des grands artistes de l’âge, champion des Jeux Olympiques, orateur, magistrat, soldat, diplomate, chef de la République dont il est par ailleurs le plus dépravé des citoyens, maître des élégances,