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charge et semblait toujours tout à tous. Ajoutons que, lisant tout ce qui paraissait non seulement sur 181-1 et 1813, non seulement sur l’Empire et la Révolution, mais encore sur l’histoire militaire de la France (sa bibliothèque de travail aux livres souvent fatigués en témoigne), il ne se détachait pas de ces premières amours qu’avait été l’Hellade. Il avait succédé à Renan à la tête de la Société des Études grecques en 1892 et restait digne de cet autre bâton de maréchal. A propos de Leconte de Lisle, il avait encore célébré magnifiquement, à l’Académie, ces Grecs qui « non seulement avaient créé les plus beaux monumens de l’art et de la pensée,… » mais « aussi créé cette chose inconnue avant eux et oubliée après eux pendant 12 ou 15 siècles, la Liberté. » Un jour je le trouvai replongé dans l’Anthologie ; un autre jour, il me lut dans le texte vingt vers de l’Iliade eu les commentant avec l’enthousiasme, — c’est tout dire, — qu’il apportait à louer le Victor Hugo de l’Ode à la Colonne. Il continuait à suivre dans le monde ses héros et héroïnes : lorsque M. Guglielmo Ferrero nia que l’amour d’Antoine pour Cléopâtre eût changé la face du monde, il se mit à rompre des lances pour « le nez de Cléopâtre. »

Enfin il aimait s’entretenir avec les confrères et était accueillant aux amis. « Il estimait, a délicatement dit M. René Doumic, que sa journée faite, l’écrivain honnête homme doit secouer la poussière des livres, relever la tête, dérider son front et causer librement avec ses amis. »


C’était un délicieux ami, d’une fidélité sans défaillance, avec des délicatesses dont le souvenir, au moment où j’écris, m’émeut d’inexprimable façon. Il a, en prononçant le discours des prix de vertu, parlé de ces « hommes-Providence » qui « par un heureux conseil ou un appui momentané à un jeune artiste, à un jeune historien, lui préparent une existence féconde et glorieuse. » Le cher bon maître ! Ce qu’il a été de fois, pour un débutant intimidé, l’homme-Providence ! Il tendait une main largement ouverte : sa poignée de main, déjà, vous donnait courage et confiance. Il eût d’un regard, — en 1910 comme il l’avait fait en 1870, — jeté des soldats à l’assaut. Il en jeta à l’assaut de la science. On lui apportait une page, on la lui lisait ; il écoutait, son regard si fin posé sur vous et qui