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un, respectueux et platonique, que le vieux Grossetête, content d’envoyer à Véronique l’hommage discret et parfumé de fleurs, amoureusement cultivées dans ses serres. L’avocat général Granville et le médecin Houbaud en sont d’autres, moins discrets, et prêts à s’enhardir sur un signe. Mais Véronique, tout au contraire, les décourage très catégoriquement. Nous connaissons le monde et le théâtre. Nous ne sommes pas tentés un instant de dire : « Voilà une honnête femme. » Nous songeons à part nous : « Cette femme aime un autre homme. Qui aime-t-elle ? »

Nous le saurons bientôt. Car on ne peut reprocher à cette pièce qu’on y fasse languir la curiosité du spectateur. A peine l’évêque, le médecin, le magistrat et l’horticulteur ont-ils laissé désert le salon de Mme Graslin, celle-ci, promenant une lampe devant la fenêtre, avec toute la grâce que Mme Bartet ne peut manquer de mettre à un tel geste, fait un signal évidemment convenu et attendu. Nous allons connaître l’amoureux de Véronique. Sur ces entrefaites, la bonne annonce qu’un certain Tascheron, Jean-François, un garçon du pays, fils d’ouvriers, ouvrier lui-même, demande à être introduit. Que vient faire ce rustre ? Car c’en est un et qui le paraît doublement dans ce cadre d’élégance. Quelques mouvemens saccadés en guise de gestes ; quelques sons rauques pour tout langage. Ce fils du peuple exagère ; il en a trop mis : on dirait d’un homme des bois… Et c’est l’amant de Véronique !

Je ne puis vous dire à quel point cette découverte nous est désagréable. Véronique ! une personne si considérée dans Limoges ! Je sais bien que le département n’y fait rien et qu’on peut citer des exemples. De temps en temps, la chronique scandaleuse nous apprend qu’une grande dame a eu des bontés pour son valet de chambre. Au moins, on ne nous demande pas de nous attendrir sur ces cas de basse sensualité. La faute s’y aggrave de malpropreté. Comment une femme si délicate, physiquement et moralement, peut-elle s’être abandonnée à ce brutal ? Mais c’est cette brutalité même qui lui donne dii plaisir. Elle y insiste. Passons !… Pour la joie de vivre seule avec Tascheron, et d’ailleurs parce qu’elle est enceinte de ses œuvres, Véronique va fuir, le soir même, avec son amant, vers les Amériques. Il faut de l’argent pour toute espèce de fugue. Jean-François se fait fort d’en tirer d’un certain père Pingret. Ses explications sont embarrassées. Nous concevons des inquiétudes sur l’opération projetée.

Nous ne nous étions pas trompés : l’opération a consisté à voler