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préoccupation du brave curé est-elle de se procurer une main aristocratique et un sourire gracieux pour faire la quête. Nous autres philosophes, nous nous en amusons, et ce qui nous surprend le plus dans ces petites scènes, c’est la parfaite naïveté des acteurs ; nous admirons comme la nature est ingénieuse à reprendre ses droits et comme la femme est toujours femme. le prêtre toujours homme, le monde toujours monde.

Mon préambule s’est démesurément prolongé, je voulais dire que, tous les miens étant dehors et moi tout seul, je profite de ce loisir pour causer un moment avec mes amis ; je viens de dépêcher plusieurs lettres, et je réservais celle-ci pour me dédommager des autres qui ne sont pas toutes récréatives, mais voici déjà l’heure du retour de la messe, l’heure du déjeuner, et j’aurai à peine le temps de vous dire les choses les plus intéressantes à savoir : qu’on meurt de chaleur ici comme partout et qu’à peine trouve-t-on l’énergie suffisante pour lire la Lanterne. Concevez-vous que par un temps pareil il y ait des boulangers et des journalistes ? Je n’en reviens pas. Quant à moi, je suis obligé de m’adresser les plus violentes invectives pour me mettre à la besogne, car il le faut ; je veux donner à l’imprimeur mon Lucrèce avant de partir en voyage, et je n’ai pas achevé la préface. Rien ne va, cette préface sera démesurément longue et pâteuse, et peut-être vais-je me décider à la supprimer. Une paresse bénigne, la plus redoutable, m’envahit ; je me donne toujours un prétexte fallacieux pour différer de prendre la plume ; c’est ceci, cela, une lecture commencée, Goldoni, par exemple. Quelle ingénuité, quelle franche immoralité dans la Comédie italienne ! Tout y est vif et sincère, c’est-à-dire touchant ou scandaleux, comme dans la nature. Je suis porté à croire que c’est le peuple français qui a inventé l’indifférence et l’ennui, en un mot, le moyen terme, le juste milieu.

Je viens de recevoir l’Intermezzo de Heine, traduit par Mérat et Valade en vers français ; c’est très bien fait. André Lefèvre m’a fait remettre aussi son nouveau volume L’Epopée terrestre, je vous en recommande la préface. Mais lisez-vous ces choses-là ? En avez-vous le temps ? Du moins je pense que vous en avez le goût. Il faut l’avouer bien bas, bien bas, la vie n’est intéressante que par ce qu’on nomme l’Inutile.

Peut-être en est-il autrement pour ceux qui sont heureux, et