Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/824

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas chez moi ; la lassitude en est cause, surtout dans les musées où il faut regarder attentivement tout debout, ce qui me porte à la tête et me fait croire que je vais défaillir. Jusqu’à présent, je m’en suis assez bien tiré, mais il faut que je ménage mes forces ; je sens, à côté des autres, combien j’en ai perdu ; comparaison qui m’attriste. Nous avons visité les musées de Bruxelles et d’Anvers, puis avant-hier nous sommes allés d’Anvers à Rotterdam par l’Escaut et la Meuse en bateau à vapeur. Le trajet a été des plus heureux, le temps admirable ; nous avons vu Dordrecht au soleil couchant, on ne pouvait souhaiter une lumière plus belle et plus favorable. Cette promenade a duré de 9h. et demie du matin à 7h. et demie du soir ; nous avons filé le soir même pour Harlem qui est notre centre d’excursion. Rotterdam nous est apparue seulement au passage, à la lueur du gaz et des étoiles, mais c’était fort beau et d’une originalité frappante pour moi. Voilà quel a été notre itinéraire. Vous pensez bien que je ne l’ai que tracé, je me suis laissé conduire, j’ai suivi mes compagnons dont l’un, Lefebvre, connaissait déjà la Hollande et était renseigné sur toutes choses ; je n’ai à m’occuper de rien, ou plutôt de moi seulement ; occupation qui n’est pas petite, car je ne suis ni ingambe, ni bien portant, et j’ai souci de ne pas me plaindre pour ne point gâter le plaisir d’autrui. En somme, je souffre physiquement, mais, moralement, je suis dédommagé plus que je ne saurais dire. J’avais mal vu Rubens, lors de mon premier passage à Bruxelles et à Anvers, il y a quelque quinze ans, au retour d’un voyage sur les bords du Rhin. Rubens n’est décidément pas mon peintre, non que je sois insensible à son génie, car la Mise en croix, la Descente de croix, d’Anvers, et le tableau où il s’est peint avec sa famille, celui-ci surtout, m’ont tout à fait saisi ; le coloris en est bien plus fin que celui des toiles du Louvre, et tout aussi puissant ; c’est un bouquet de nuances qui ravit les yeux. Mais, en général, je ne trouve pas vraies les chairs de Rubens, le ton en est arbitraire, souvent d’un jaune relevé de bleu et de rouge exagérés dans le clair-obscur, je n’ai jamais vu cela dans la nature ; le dessin doit être juste, cependant il me déplaît ; les muscles forment des nodosités désagréables, je n’en sens pas le jeu ; la force est rendue par la masse de matière charnue et non par la dureté de la fibre et du tendon, comme si la puissance ne se mesurait qu’au poids de la viande ; l’énergie