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a bien regardé des visages à la lumière solaire ; en réalité, le soleil ne dore pas les chairs, il en rend les tons plus ardens, il les épure au lieu de les compliquer. Je crois que les peintres sont obligés de jaunir les tons pour les éclairer, c’est un pis aller que Rembrandt a exagéré, tandis que le génie consiste plutôt, ce me semble, à faire rayonner le ton sans l’altérer, comme on le voit dans les portraits de la galerie Six, dans la Leçon d’anatomie et dans la Suzanne de la Haye. Les peintres de genre hollandais ont, pour la plupart, subi à cet égard l’influence de Rembrandt, mais le sentiment de la vérité, qui est leur unique objectif, les a préservés de toute exagération ; l’art de ces peintres est inouï ; je ne sais plus comment je pourrai trouver le moindre plaisir à regarder la peinture de genre moderne, depuis que j’ai vu les Pierre de Hooghe et les Terburg ; il y en ici de merveilleux. Plus je m’instruis en étudiant ces chefs-d’œuvre, plus je sens la profondeur et la complexité de l’art de peindre et moins j’ose en parler. Aussi je vous répète que je ne fais aucun cas de mes propres impressions ; si j’avais été organisé pour la peinture, j’aurais peint ; ce que j’en dis n’est pas de mon cru, quelque bonne foi que j’y mette ; cela me vient de tous côtés et j’imagine ensuite avoir trouvé moi-même mes jugemens. On reconnaît sa compétence en un art à l’assurance qu’on se sent dès qu’on est ému ; je n’ai nullement cette assurance, une réflexion d’autrui modifie mon opinion avec mon point de vue, ce qui ne m’arrive jamais pour la poésie. Enfin, en peinture, je sais que j’ignore, et cela suffit pour ôter toute indépendance à mon goût. Je suis déjà moins docile en sculpture, j’y suis moins aisément traître à mes propres admirations.


Gand, vendredi soir, 1876.

Ma chère et excellente amie,

J’ai revu hier à Anvers les plus belles choses. Il y a un portrait de Rembrandt, aussi lumineux que possible. De temps en temps, nous trouvons, dans les musées, de beaux échantillons de peinture italienne ; le charme, la grâce, la facilité de cette peinture fait un tort singulier aux plus solides qualités des