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nous ayant manqué au dernier moment. Je vous ai dit aussi qu’à Harlem, nous étions en relation avec une famille bourgeoise, où nous avons dîné, et qui nous a pilotés avec une extrême complaisance. Ces gens-là parlent la langue qu’on veut, hollandais, italien, français ou espagnol, au choix ; c’est très commode, mais bien humiliant pour nous qui ne savons guère que notre langue.

A Gand, c’est le fils du bourgmestre qui nous a fait les honneurs de la ville, avec une générosité presque embarrassante. Je l’avais invité à dîner, mais il a été souffrant ce soir-là, et je le soupçonne fort d’avoir voulu m’épargner des frais, car le lendemain matin il était à notre disposition pour nous montrer la ville. Il nous a menés chez un orfèvre qui depuis cinquante ans travaille à une collection de curiosités anciennes ; il n’a que des pièces authentiques de premier choix ; nous y avons pris le plus vif intérêt : c’est une collection des plus rares, mais elle n’est pas publique et l’on n’est reçu à la visiter que sur présentation ou recommandation de quelqu’un de la ville. Dimanche soir nous sommes allés prendre le thé chez M. et Mme de Verchor, et ils nous ont ensuite conduits au Casino, qui est un cercle fondé pour réunir les familles moyennant 20 francs par personne et par an ; on y donne des soirées, des concerts, des bals qui conservent, grâce aux mœurs du pays, le caractère des réceptions particulières, quelque chose de simple, de libre et d’honnête, qui nous a beaucoup étonnés ; la soirée était très belle, et sous les étoiles on dansait par groupes épars, dans le jardin entièrement illuminé ; les danseurs se mêlaient aux promeneurs au milieu d’une joie paisible tout à fait étrangère à nos allégresses françaises. J’ai été surpris de trouver, à deux pas de la France, un tempérament si différent du nôtre. On paraît nous aimer, mais sans la moindre illusion sur notre valeur ; quelques-uns de nos concitoyens nous font le plus grand tort à l’étranger par une affectation de manières et une présomption ridicules. De Verchor nous racontait à quel point l’un de nos peintres (le plus poseur, à vrai dire) s’était rendu intolérable par sa sottise, prétendant qu’il ne pouvait faire un portrait sans pincer de temps en temps la guitare ; ou lui a procuré une guitare à tout prix, et vous voyez ce peintre lâchant, toutes les cinq minutes, sa palette pour sa guitare, afin de s’inspirer. Malgré tout son talent, il a fait deux portraits