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en travaillant davantage accumuler des économies, constituer de petites fortunes, mais à quoi bon ? Ils ne sauraient que faire de leur argent.

On ne trouve, dans notre village de 3 000 habitans, ni un magasin, ni même cette boutique si achalandée qu’on rencontre dans le moindre hameau français et où un épicier vend toutes les catégories possibles de marchandises, quincaillerie, papeterie, mercerie, sans se spécialiser dans les denrées alimentaires. Dans le village maure, tout le monde est à la fois acheteur et vendeur des produits du jardin, de la basse-cour et du champ. On évite les petites transactions entre voisins et c’est à jour fixe, au marché du dimanche qui se tient à une quinzaine de kilomètres d’Asanen, que les familles font leurs emplettes.

Le jour de marché est un jour de congé, une dérogation à la monotonie de la semaine. On y rencontre des amis, des parens, on y conclut des mariages, on y ourdit parfois des complots contre l’envahisseur européen. Pour les femmes qui ne voyagent jamais et passent leur existence dans un village perdu, le marché est la fenêtre entr’ouverte sur le monde. Allons à notre tour au Sok-el-had, et nous y surprendrons bien des secrets de la vie marocaine.

Nous quittons Melilla un dimanche matin, à l’heure où, dans la brumeuse Armorique, les paysans en costume national et les Bretonnes au bonnet gentiment enrubanné, suivent en devisant le chemin ombragé qui de leur demeure mène à l’église ; à l’heure où, dans la toute proche Andalousie, de jolies femmes, coquettement coiffées de la mantille, vont à la messe en échangeant avec leurs compagnons, maris ou novios, ces propos galans toujours les mêmes, douce chanson qu’on murmure partout du pôle à l’équateur. Il est neuf heures du matin, nous descendons le dernier contrefort occidental du Gourougou qui, coiffé d’un nuage léger, comme un voile, domine avec la majesté du Puy de Dôme un paysage désolé. La vallée du Rio de Oro est à nos pieds. La rivière au lit desséché qui vient aboutir à Melilla a sur ses deux rives une quantité d’affluens sans eau comme elle. Le terrain est raviné et mouvementé ; sur le sol pierreux, quelques buissons de cactus reposent un peu la vue en donnant de loin l’illusion de la verdure et de la fraîcheur. Un soleil éclatant fouille tous les recoins du paysage, mettant en relief le long ruban des pistes qui descendent des