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influentes : les riches Marocains aiment le pouvoir et les honneurs ; bien dirigés, ils seront encore à l’avenir d’utiles fonctionnaires, si on obtient, en passant l’éponge sur le passé, qu’ils renoncent désormais aux bénéfices quelque peu scandaleux qui étaient jadis leur apanage.

Enfin, ils sont détenteurs de capitaux importans, et, à ce titre, ont un rôle à jouer dans la transformation économique du pays. Ce sont eux qui doivent guider leurs compatriotes dans leur évolution. Sont-ils prêts à jouer un semblable rôle ? Telle est la dernière question à laquelle nous allons essayer de répondre, en pénétrant avec toute la discrétion possible dans leur intimité. Entrons d’abord chez le pacha de C… ; c’est un homme de trente ans, au physique avenant et sympathique. Il est intelligent et parle un peu notre langue apprise au cours d’un voyage à Paris, Berlin, Pétersbourg. Connaît-il pour cela l’Europe et sa civilisation ? Hélas ! non. Télémaque voyageant pour s’instruire avait à ses côtés le sage Mentor. Le ministre des Affaires étrangères a bien donné un guide à notre pacha pour l’initier à notre vie raffinée, mais ce guide semble avoir été beaucoup plus préoccupé d’amuser son élève que de l’instruire. Le grand seigneur marocain ne connaît pas nos musées, ne sait rien de notre vie artistique. On ne lui a pas montré nos productions industrielles, il n’a pas la moindre notion de nos œuvres sociales : en revanche, il connaît les cabarets de Montmartre beaucoup mieux que n’importe lequel de ceux qui me lisent.

Ce qui l’a frappé, ce sont les grandes réceptions, la pompe officielle, et encore de ce côté je constate chez notre voyageur des erreurs de jugement que personne n’a rectifiées. Pressé de questions, il a fini par me dévoiler toute sa pensée sur la société française qu’il croit être très corrompue. La vue d’une femme en toilette de soirée l’offusque et le ravit ; — il serait tenté, s’il n’était notre hôte, de la saisir et de l’emporter au fond des bois… Un fait — scandaleux — dont il a été le témoin, l’a éclairé sur notre mentalité. Invité un jour à un bal du ministère de la Guerre, le jeune pacha se promenait dans les salons quand il avisa une serre vivement éclairée : un peu au-delà de la porte un massif de plantes vertes forme paravent. Il veut entrer, mais l’officier qui l’accompagne lui prend le bras et l’emmène ailleurs. Il a aussitôt un soupçon. « Que me cache-t-on ? »