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de la famille ; or cette tâche implique l’initiative et par suite la liberté.

L’évolution dans les idées, qui amènera l’émancipation de la femme musulmane, n’est pas, contrairement à ce qu’on croit, en opposition avec les préceptes du Coran. La polygamie est en effet simplement une coutume, inscrite peut-être en marge du Coran et codifiée par lui, mais elle n’a aucun caractère obligatoire ; le mariage pour les Musulmans est un contrat purement civil. On conçoit très bien dans ces conditions que la transformation économique des Marocains les amène peu à peu à adopter spontanément notre genre d’existence et, par une conséquence très logique, nos mœurs, sans pour cela renoncer à leur foi religieuse.

Nous devons compléter nos observations en comparant les Marocains sous le double rapport des aptitudes physiques et intellectuelles à notre peuple qui assume la tâche délicate de les civiliser.

Un jour, entre Nador et Selouan, je rencontrai une équipe de terrassiers marocains conduits par un officier du génie espagnol. Au cours de notre conversation, il constata la réelle supériorité des travailleurs indigènes sur les Italiens, ou même les Espagnols.

Un instant plus tard, sur la ligne de chemin de fer de l’Afra, un ingénieur français me faisait une remarque identique : « Je préfère le manœuvre et l’ouvrier marocain à n’importe quel ouvrier européen parce qu’il est plus robuste, aussi adroit, plus docile et moins exigeant comme salaire. » Mon interlocuteur ajouta qu’il avait formé des indigènes à s’acquitter de tâches délicates : il a des aiguilleurs, des chefs d’équipe et même des mécaniciens marocains. Mais leur utilisation s’arrête là. Si nous prenons une comparaison dans la hiérarchie militaire, je dirai que, pour constituer l’armée des travailleurs au Maroc, on trouve en abondance la main-d’œuvre, les soldats, les chefs d’équipe représentés par les sous-officiers, mais qu’on n’y rencontre pas le personnel directeur, les officiers. Il y a là-bas une aristocratie qui ne peut jouer un semblable rôle parce que l’instruction générale lui fait défaut. Nous trouvons le travail individuel bien organisé ; l’ouvrier marocain se sert de nos outils. Mais nous ne rencontrons pas la machine avec le travail collectif coordonné par des ingénieurs indigènes pourvus d’un