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aussitôt reperdu avec Briançon. Maintenant, celui-ci disait qu’il en passerait par où Louise voudrait ; et Louise, en conséquence, feignait de ne plus s’opposer à rien. Elle mandait à Sophie le 29 juillet : « Mon ami vous marque que c’est à moi à décider de votre sort ; ah ! Sophie, n’est-ce pas vous dire que vous pouvez être assurée du bonheur ? Ma réponse va être que je consens à tout, hélas ! Je conserverai mon ami, que me manquera-t-il ? Nous serons tous heureux, comptez-y… » La crédule Sophie laissa là-dessus tomber tous ses doutes : « Elle a accepté la proposition de Pylade avec empressement, annonçât-elle à Mirabeau le 6 août. Je t’envoie sa lettre à ce sujet, elle fera plaisir à Briançon, parce qu’elle est remplie d’amour pour lui et qu’il paraît qu’elle n’a pas hésité un moment. »

Jamais Louise n’avait été, au contraire, plus près de regagner ses pénates. La raison de son mari venait de sombrer, dans le chagrin de s’être prêté à une transaction ruineuse qui terminait sa déplorable affaire des affiches. N’allait-on pas interdire M. de Cabris ? et si on l’interdisait, à qui seraient confiées sa curatelle et la tutelle de sa fille unique, la petite Pauline ? Louise entendait revendiquer pour elle cette double administration, qui lui eût garanti à la fois l’indépendance et la fortune. Si on ne l’interdisait pas, Louise pouvait craindre qu’elle absente, la douairière de Cabris et ses filles ne fissent signer au malheureux fol à leur avantage un testament qui exclurait sa femme de ses libéralités et qui même exhéréderait Pauline de toutes les substitutions de biens auxquelles cette enfant était nommée. Crainte fondée ; M. de Cabris signa, en effet, un tel testament le 6 août. Mais Louise n’en sut rien. Sa belle-mère, par de douces protestations, fut assez heureuse pour la rassurer sur toutes les conséquences possibles de l’accès de folie de Jean-Paul. L’avenir n’en restait pas moins inquiétant. Tout en ne voyant plus de motifs à son retour immédiat en Provence, Louise devait se tenir alerte et regarder plus que jamais comme une sotte billevesée tout dessein d’expatriation à la suite de son frère et de Sophie. Elle n’avait point, elle, de persécuteurs à fuir. Ce qu’elle eût déserté en fuyant quand même, c’étaient des ressources régulières et sûres, son indépendance entière et la perspective toute proche d’une grosse fortune à gérer au nom de son mari et de sa fille, — et pour gagner quoi ? un rivage inconnu, peut-être inhospitalier, où son frère, traqué partout,