Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/884

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mirabeau courant, volant, arracher sa maîtresse au péril qui la terrifiait ? Malheureusement, une telle lettre n’exista jamais, bien que Sophie eût souvent offert à son Gabriel de la lui écrire après coup, pour l’aider à se laver de l’accusation capitale de rapt d’une femme mariée. Les lettres écrites par Sophie dans cette période critique sont toutes en original dans nos mains. Il n’y en a point qui témoignent d’inquiétudes et d’impatiences assez vives pour ressembler à de la détresse. Toutes expriment naturellement un désir extrême et une détermination invincible de se réunira Mirabeau coûte que coûte ; et par exemple, l’une d’elles, en date du Ier août, s’achève sur ces mots : « Oh oui ! mon enfant, il faut que cela finisse ou je n’y tiens plus, ta santé et la mienne n’y résisteraient pas ; je te le répète : Gabriel ou la mort ! » Mais le surplus de cette lettre même, et les lettres antérieures, et les suivantes, démontrent que Sophie jouissait alors de plus de tranquillité et d’assurance qu’elle n’en avait connu depuis longtemps, en dépit de quelques alertes, telles que la saisie récente par son mari d’un ballot de hardes adressé à Louise et d’une lettre à son Gabriel où, dit un prêtre qui la lut, on découvrait « beaucoup d’intrigues criminelles. » En avisant Mirabeau, ce 1er août, de cette saisie malencontreuse, Sophie ne laissait voir aucune alarme ; mais elle observait simplement : « La peine que cela me donne pourra bien m’empêcher de faire partir l’autre paquet. Le marquis [M. de Monnier] a dit au curé L*** qu’il retirait la parole qu’il avait donnée d’écrire pour la lettre de cachet, parce que mon aversion pour le couvent était telle que je l’avais assuré que je m’y poignarderais, que j’étais capable de le faire et qu’il ne le voulait pas. » Elle se moquait des faiblesses et de la crédulité de ce vieillard dans sa lettre du lendemain : « Je te dirai, enfant chéri, que j’ai repris au marquis l’adresse de mon paquet, qu’il conservait apparemment parce qu’elle était de mon écriture. Que de bonté à lui ! Sa fille [Mme de Valdahon] lui a si bien fait prendre l’habitude d’être attrapé qu’il le sera toute sa vie, sans même avoir affaire à des gens très fins… » Et le 6 août, elle rapportait une autre conversation du marquis de Monnier avec un prêtre, au cours de laquelle il avait réitéré l’assurance, qu’il lui avait donnée à elle-même, « que pour une lettre de cachet, jamais il ne la demanderait. » Sur quoi, Sophie ajoutait : « Il est certain qu’il est bien fourbe s’il médite quelque chose. »