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C’est seulement à la date du 20 août, pour la première fois, que cette correspondance de Sophie révèle quelque attente, quelque certitude de l’approche imminente de Mirabeau. Sophie venait de recevoir le billet du 9 par lequel il l’avertissait de son départ de Lorgnes. Elle en était bouleversée, mais de douleur, non de joie. Car ce billet n’avait pas l’accent d’un amant emporté vers sa maîtresse par la terreur de la retrouver morte ou captive ; mais c’était un furibond parti à contre-cœur et reprochant, menaçant, invectivant à tort et à travers, qui l’avait écrit. Et Sophie, stupéfaite, de lui répondre, en reprenant un à un tous ses griefs :


Tu n’es pas cause de mon chagrin… Mais je n’ai pas dit non plus que tu en fusses cause. Je n’ai pas dit au marquis que je ne t’aimerais plus, que j’éteindrais ma passion ; non, mon ami, je n’ai pas pu le lui dire ; mon cœur s’est serré, je disais tout bas : Sophie adore Gabriel ; peu s’en est fallu que je ne le dise aussi tout haut… Je ne sais pas ce que tu entends par les jours d’affaires, et te prie de me l’expliquer ; comme-je ne peux point entendre aisément de toi des choses dures, tu voudras bien parler plus clairement. Je croyais que Gabriel estimait assez son épouse pour n’avoir pas de soupçon offensant. Hélas ! que ne me laissais-tu mourir avec la certitude de ton amour et de ton estime, cette mort eût été douce auprès de ce que je souffre ; mais il en est temps encore : rends-moi ton cœur… Mais je ne l’ai pas perdu ; mon ami m’aime, il m’aimera toujours. Cependant, comment interpréter ces phrases : Je proteste à Sophie que si elle va chez la D***, elle ne me reverra plus de sa vie… M. de Monnier a sans doute des moyens de faire la paix sur lesquels il compte… Je ne puis passer à Aix, tous ces détails sont mes affaires (n’est-ce que les tiennes ! ). Si Sophie va chez les S***, elle peut se dispenser de tous ces embarras (embarras, mon ami ! ) et pleurer sur son amant… O Gabriel, comment as-tu le courage de m’écrire tout cela, toi qui un moment avant parles de ma sensibilité ?…


Ainsi, alors même que, pour obéir à une nécessité inéluctable, il quittait sa retraite de Lorgnes, Mirabeau hésitait encore à se réunir à Sophie et il ne lui en annonçait pas formellement la résolution ; il la lui laissait seulement conjecturer… Mais sa situation nouvelle ne lui ouvrait pas d’autre issue, on va le voir ; il devait fatalement s’y diriger. Quels étaient donc ses vrais mobiles ?

Ils nous sont découverts par deux ou trois lignes, fort insignifiantes en apparence, des lettres de Sophie en date des 1er et 2 août, dont nous avons cité déjà des fragmens. Sophie elle-même, en les traçant, ne se doutait point qu’elles décideraient de son sort. Les voici. Elle écrivait le Ier août :