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Pour qui des millions de siècles sont un jour,
Et qui versent, sur nous, par pitié, leur amour !
Entre eux et nous, dans cette insondable étendue
Qui semble dépeuplée à notre courte vue,
Ne peut-il pas flotter d’autres êtres pensans
Trop vagues et subtils pour atteindre nos sens
Qu’on prend pour des lueurs, des souffles, des nuages,
Mais qui parlent parfois en de si clairs langages
Qu’ils nous semblent aussi fixer sur nous des yeux ?

Et voici que, sondant le sol, l’air et les cieux,
De près, de loin, je vois la vie universelle,
Grand foyer dont chaque homme est la brève étincelle,
M’envelopper de son énigme, et m’assaillir ;
Et muet, haletant, je me sens tressaillir…
Par instans n’est-ce pas, dans le vent qui me frôle,
Quelqu’un de ces esprits qui me touche l’épaule,
Un de ces chers esprits que nous nommons les morts,
Et qui déjà peut-être ont vêtu d’autres corps,
Ou, libérés et purs de l’entrave charnelle,
Nous invitent, près d’eux, à la paix éternelle ?
Puis, qui sait ? Si c’était Lui-même, l’Ignoré,
Le plus mystérieux et le plus désiré,
L’esprit par qui tout vit, les êtres et les choses,
En qui tous les effets trouvent toutes leurs causes,
Lui qui tourne, un moment, vers ce coin d’univers
Où sourit son soleil parmi les rameaux verts,
Ses yeux de créateur doux pour sa créature !…
Je tremble, et, dans ce grand travail de la nature,
Par la soif d’infini me sentant ressaisir,
Je n’ose plus penser et redoute d’agir.


GEORGES LAFENESTRE.