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les principales notions de l’histoire de France fussent déposées dans l’esprit de l’enfant sous des formes concrètes dont le village serait le support.

Le paysan, qui n’a d’autre enseignement que celui de l’école, — et le plus souvent il en est ainsi, — ne garde un souvenir historique que s’il est lié à un des objets de l’activité journalière de son cerveau. En y pénétrant, une notion nouvelle, complètement étrangère aux réalités environnantes, provoque du malaise, reçoit un accueil glacial, cherche vainement sa place et finalement s’en échappe, comme celui qui, entré par mégarde dans un salon, où il ne connaît personne, ne songe qu’à en sortir. La même notion fait naître de la joie et une sorte d’attendrissement, qui se lisent sur le visage, si on la mêle et la confie à d’autres notions familières à l’esprit, douces au cœur. Il faut s’assurer de l’amitié de l’âme si l’on veut qu’elle accepte et retienne ce qu’on lui offre, et on peut saisir ici sur le fait, en pleine vie, dans un de ses modes intimes, la vertu intellectuelle et cognitive de la sensibilité. En somme, un fait historique reste obscur tant qu’il n’est pas mis en compagnie de faits antérieurement bien connus, qui l’enveloppent de leur propre clarté et par cela même le rendent déjà aimable ; son image est essentiellement caduque et périssable, si on la laisse en l’air, c’est-à-dire sans soutien dans les choses que l’enfant a sous les yeux, sous la main, qui entrent dans le cours ordinaire de sa pensée et de sa conversation ; elle devient claire et se fixe définitivement dans l’esprit par la familiarité, la banalité, la permanence des idées auxquelles elle est associée.

Ces enfans, filles et garçons, qui s’égaillent joyeusement en sortant de l’école, savent tous l’histoire d’un crime qui fut commis dans le village il y a cent vingt ans : c’est que le récit en est toujours fait en montrant la maison où le drame s’est passé, le champ contesté qui en fut l’occasion, le trou de l’évier par lequel le canon du fusil fut introduit pour foudroyer un vieillard devant son feu, les descendans de la victime, ceux du meurtrier. Arrêtons parmi ces enfans une grande fillette de treize ans, écolière appliquée, aux beaux yeux intelligens, et nous n’aurons pas de peine à constater qu’elle ne sait vraiment pas ce qu’a été pour la France la guerre de 1870. Cependant son grand-père, mobile au troisième bataillon du tiers, est mort au passage de l’armée de Bourbaki en Suisse. Croit-on que son