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selon le degré de conscience et de volonté, on finit même par s’en accommoder comme deux époux raisonnables s’accommodent d’un mariage mal asssorti. D’autres fois, toute adaptation étant reconnue impossible, on se décide pour une carrière nouvelle.

Dans le choix du métier, où la raison, le jugement, le bon sens interviennent, nous tenons compte de notre vocation, de nos préférences, de nos aptitudes, mais encore d’une foule d’autres circonstances extérieures à nous-même. La vocation, comme on l’a vu, est tout autre chose. Sous nos yeux depuis quinze ans, neuf enfans sont entrés dans trois ferme-écoles différentes. Ils en ont suivi l’enseignement avec assiduité pendant le temps voulu, et deux en sont sortis premiers avec tous les honneurs. Aucun d’eux n’est resté à la terre. Actuellement deux sont commis dans des magasins de nouveautés, un est comptable dans une compagnie d’assurances, un autre dans une usine d’engrais ; l’armée en a gardé un comme sous-officier et conduit un autre à être agent de police ; nous en savons un qui est dans les contributions indirectes, un autre ; tonnelier, le dernier est marchand de meubles à Bordeaux.

Ici le choix du métier avait été déterminé par les convenances et les avantages que les parens avaient montrés aux enfans : ils pensaient que la vocation suivrait, amenée par l’apprentissage. Elle n’est pas venue, et on pouvait prévoir qu’elle ne viendrait pas. Ces enfans étaient fils d’instituteurs, de gendarmes, de boulangers, de petits bourgeois, de domestiques attachés à des maisons bourgeoises. Tous étaient fils d’évadés de la terre. L’hérédité leur manquait et surtout l’imprégnation spéciale des premières années. Aucun, en venant de prendre sa tétée, n’avait joué à califourchon sur le dos de la vieille vache, aucun n’avait suivi le sillon en mettant ses petits pas dans ceux de son père. Répétons bien que le choix du métier est un acte de la raison, et que la vocation met en jeu d’autres forces de l’âme ; elle vient du cœur.

On remarquera que ces neuf enfans avaient reçu de l’instituteur un enseignement agricole particulièrement soigné en vue de leur entrée à la ferme, et que celle-ci leur avait développé cet enseignement en même temps qu’elle les initiait aux travaux pratiques. Tout cela sans le moindre résultat. C’est donc une erreur de penser que l’enseignement préparatoire à un métier et