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sans se douter du danger qu’elle renferme. L’écolier est déjà un petit parvenu de la science ; il témoigne du dédain à ceux qui ne sont pas savans comme lui. La douzaine de livres qu’il traîne dans son sac lui donne des sentimens suspects pour ses parens et leur métier.

Les choses seraient tout de même un peu différentes si, parmi les livres, il n’y avait pas un petit cours d’agriculture. Le père garderait aux yeux de son fils le prestige d’une compétence et d’une supériorité, le prestige d’une science, celle du métier qui met chaque jour le pain sur la table et sans laquelle on mourrait de faim. Mais voici que l’écolier rentre chaque soir armé de quelques mots avec lesquels sur l’engrais, le fumier, la ration des animaux, il pourrait dans la maison humilier tout le monde. Même, s’il ne monte pas jusqu’aux paroles, le mépris est au fond du cœur où il fait son œuvre. La terre n’a donc plus rien pour se défendre dans l’âme de l’enfant.

Faut-il supprimer le petit livre d’agriculture dans le sac ? Il faut au contraire en mettre plusieurs. Développons l’enseignement agricole, consacrons-lui beaucoup plus de temps, donnons-lui dans l’école du village une place éminente qu’il est loin d’avoir. La science rend à la terre d’incalculables services, et chacune de ses découvertes finit par devenir un bienfait pour la plus modeste métairie. Une transformation complète se prépare qui est déjà, commencée. L’agriculture de l’avenir sera scientifique sous peine d’être vouée à toutes les défaites économiques.

Le plus petit peuple de l’Europe donne un exemple dont les plus grands peuvent tirer profit. Le Danemark n’a guère plus d’étendue que la Bretagne, et il exporte autant de chevaux que toute la France, trois fois plus de bétail vivant, dix-huit fois plus de viande de boucherie et de porc salé, quatre fois plus de beurre, et un million d’œufs par jour, alors que nous en achetons cent trente millions par an à l’étranger. La science, secondée par l’amour du travail, l’esprit d’initiative et d’association, inspire et dirige ce merveilleux effort : on peut suivre ses applications dans le choix des semences et des engrais, le défrichement des landes, l’élevage du porc et des bestiaux, les industries laitières, la production des œufs dont pas un ne sort du Danemark, en passant par les sociétés de vente, sans avoir été vérifié à la lumière électrique. Notons que nous sommes dans un pays de