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couche aux pieds du lieutenant, lui tend son fusil et ses cartouches… Il est blessé à mort.

Le lieutenant Morel, grâce à l’obscurité, parvient à reculer et à se reformer pour soutenir la section de droite près de succomber sous le nombre. L’adjudant Rossi a été accueilli par une violente décharge. Il y a répondu par le commandement : En avant ! Là aussi les Berabers sont retranchés. A la tête de la première escouade, il franchit la ligne des chameaux et des charges ; c’est le corps à corps dans le tumulte du fer, des détonations, des cris de fureur et d’agonie. L’adjudant reçoit un coup de crosse en pleine poitrine ; de son revolver, il abat son adversaire ; une balle lui traverse la cuisse et le jette à terre. A ses côtés, le caporal Moro Sidi Bé, six tirailleurs sont tués, et le caporal Suleyman Sissoko a le pied droit fracassé.

L’adjudant essaie de se relever, mais en vain ; le caporal Bandiougou Sissoko le saisit dans ses bras et le transporte en arrière. Le sergent Diara Fofona, avec la deuxième escouade, couvre le caporal Bandiougou ; deux fois il enlève ses hommes, deux fois il est blessé : la deuxième section n’a plus un gradé !

La surprise a échoué, le capitaine rassemble les deux groupes et les reporte à la lisière d’une brousse d’arbustes de 50 à 60 centimètres de hauteur ; il fait en même temps reculer les chameaux jusqu’au convoi arrêté à un kilomètre au Sud.

Il est trois heures du matin. Une accalmie se produit. Au puits d’Achorat, des appels se font entendre, auxquels répondent d’autres appels dans le Nord-Est. C’est un second campement Beraber qui va venir à la rescousse. Peut-être aussi le rezzou songe-t-il à prendre la fuite ? Il ne faut pas qu’il échappe. Cette troupe déjà décimée ne renonce pas à la victoire.

Le lieutenant Morel se glisse derrière une petite crête, à 100 mètres du puits. Son premier feu de salve arrache des cris à l’ennemi. Mais quelques tireurs lui font face aussitôt.

Du campement, un chant retentit, grave et lent, qui domine le crépitement des balles, c’est le chant de la mort des guerriers ; car les Berabers sont forcés de vaincre ou de mourir. Arrivés seulement la veille, au puits d’Achorat, ils n’ont pas eu le temps d’abreuver tous leurs animaux, ils ont six jours de marche jusqu’au puits suivant ; ils ne peuvent pas céder le terrain. Au bout d’une demi-heure, le lieutenant est obligé de se replier sur le capitaine. Le feu se fait. De part et d’autre, on