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de se refermer sur lui. Une balle lui fracasse la cheville. Il se couche et continue de commander. Trente hommes sont encore vivans ; combien restent assez valides pour tirer ?

Le sergent Diara Fofona est blessé une troisième fois, puis une quatrième ; le fusil échappe à ses mains.

A ce moment, le sergent Fadiala Keita se présente au capitaine et porte l’arme :

— Mon capitaine, mon ventre y a crevé.

Il tombe sans connaissance, ayant une horrible blessure dans l’âme.

Les Berabers se rapprochent. En même temps, des détonations lointaines se font entendre… le convoi est attaqué !

Le capitaine se fait porter près du lieutenant Morel. Dans les bras de Lamine Kitessa, il reçoit une balle qui lui brise la colonne vertébrale et ressort au-dessous du cœur.

Etendu près du lieutenant, malgré l’atroce douleur, il plaisante et encourage les tirailleurs.

Les Berabers, pour avancer, sont obligés de se découvrir ; le lieutenant a pris le fusil d’un mort ; chacun de ses coups jette un homme à terre ; sous ce feu meurtrier, les deux ailes reculent.

Le capitaine se sent mourir. Il appelle le lieutenant : « Battez en retraite sur le convoi, abandonnez-moi. »

Le lieutenant refuse. Lamine Kitessa s’écrie :

— Nous y a pas moyen, capitaine, nous y a tous morts ici ?

— Abandonnez-moi, répète le capitaine. Et, voyant que l’officier refuse d’obéir : « Bien. Tenez encore un peu. »

Il montre son revolver vide, et demande qu’on le charge ; Cependant il entre en agonie, son regard se trouble, tout oscille autour de lui : là-bas, dans le fond de la plaine étincelante, le puits flamboie d’éclairs, de chaque côté, les deux ailes des Berabers s’étendent, elles se rapprochent, elles vont écraser sa compagnie, ses tirailleurs… des lueurs se lèvent des baïonnettes, il veut commander : En avant ! Le désert tourbillonne, des rumeurs emplissent ses oreilles, crépitemens, vociférations ; quelques paroles inarticulées s’échappent de ses lèvres : « A Tombouctou… cimetière… sous des pierres… » Sa tête se soulève, ses yeux s’éclairent du soleil répandu sur le désert ; son âme s’illumine de la suprême lumière… le capitaine Grosdemange a cessé de vivre.