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françaises » qui, comme presque tous les artistes de la capitale, était lié d’ancienne amitié avec l’aimable prince étranger. Quand Mannlich dut être présenté par le duc à son futur maître, celui-ci reçut ses visiteurs dans son cabinet d’histoire naturelle, alors célèbre pour la qualité de ses collections et surtout pour son ordonnance parfaite. Il dépensait chaque année des sommes considérables pour le développer davantage, et il possédait en particulier des pierres précieuses à l’état brut qui représentaient une valeur importante, car la vente de ces minéraux procura par la suite plus de deux cent mille livres à ses héritiers, — somme considérable pour l’époque, comme on le sait. Le duc, qui était lui-même un minéralogiste distingué, gratifiait l’artiste de morceaux intéressans qu’il lui rapportait des mines de la région rhénane.

Quand Mme Boucher parut un instant dans l’appartement pour accueillir l’auguste visiteur, sa fraîcheur et sa beauté éblouirent littéralement notre débutant, à qui son introducteur princier dit en sortant, avec complaisance : « Il vous aurait fallu la connaître il y a vingt ans, mon cher Mannlich. C’était alors la plus belle personne non seulement de Paris, mais de toute la France. Mon frère, et bien d’autres encore, étaient éperdument épris de ses charmes ; mais ils en furent pour leurs mines langoureuses, car la jeune femme, n’étant pas moins vertueuse que belle, s’acquit bientôt par son honnêteté l’estime et la sympathie universelles. Elle a maintenant quarante ans au moins et peut encore passer cependant pour une des beautés de la capitale. Vous voyez par là combien il est avantageux d’avoir une jeunesse raisonnable. » Le duc philosophe manquait en effet rarement l’occasion d’une petite homélie aux jeunes gens de son entourage.

Mannlich fut logé peu après dans une petite pièce contiguë à l’atelier de Boucher, auprès duquel il passa toute l’année 1765. — Rédigeant ses Souvenirs en 1813, c’est-à-dire après l’entière victoire de la réaction classique inaugurée par Winckelmann, triomphante avec David et le style Empire, il croit pouvoir affirmer que les directions du « peintre des grâces » lui firent plus de tort que de profit : mais il ne laisse pas que de vénérer dans son ancien maître l’homme au génie original, à l’esprit débordant de fine gaîté, au caractère le plus sûr et le plus honorable qui fut. Boucher, nous raconte-t-il, s’éloignait alors à regret de