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en 1847 que lui en 1912. « Si notre système électoral actuel était, disait-il, un être vivant, une personne qui pût sentir et parler, et qui eût la parole dans cette enceinte, il aurait grandement le droit de s’étonner et de se plaindre. » Et M. Guizot, après avoir énuméré dans un langage magnifique les services rendus par un mode électoral qui avait sauvé la Charte et la France : « Quel système, concluait-il, a jamais été soumis en aussi peu de temps à d’aussi rudes et aussi diverses attaques ? Il en a toujours triomphé. Et l’on vous demande de le condamner et de le réformer ! Messieurs, s’il pouvait parler, il aurait grand droit de nous accuser d’ingratitude. » M. Guizot parlait à sa place et il accusait les auteurs du projet de réforme d’ « ingratitude. » Tout ce qu’il disait du passé était peut-être vrai ; il n’oubliait qu’une chose, c’est que le système électoral de 1847 avait fait son temps, que toutes ses vertus étaient périmées, qu’on n’en sentait plus que les vices, en un mot qu’il était mort et que le régime qui y resterait attaché mourrait bientôt avec lui. Il en est de même à présent du scrutin d’arrondissement. Le parti qui en a vécu et qui continue d’en vivre s’efforce de le perpétuer dans l’espérance de se perpétuer avec lui, mais le système est mort, et le parti radical est mourant. L’un ne peut plus communiquer de la vie à l’autre, n’en ayant plus assez pour lui-même. Quoi d’étonnant si M. Augagneur ne se rend pas compte de cela aujourd’hui, puisque M. Guizot ne s’est pas rendu compte autrefois d’une situation analogue ? Mais M. Poincaré a une vue plus juste des choses, parce qu’il ne borne pas l’étendue de ses regards à l’horizon parlementaire et qu’il a aussi regardé un peu dans le pays.

Il y a distingué des besoins nouveaux qui sont nés assez naturellement après une quarantaine d’années de république. Au bout d’un si long laps de temps il faut qu’un régime politique se transforme et se renouvelle. D’autres générations sont venues qui ne ressemblent pas aux anciennes et qui, à quelques égards, les déconcertent. La question est de savoir si la République saura s’adapter à leur nouvelle manière de penser et de sentir. C’est à ce besoin que le Gouvernement s’efforce de donner une première satisfaction en faisant voter la représentation proportionnelle. Il n’a pas la prétention d’imposer son projet ne varietur. Il a admis que la Chambre en repoussât les dispositions relatives au groupement de plusieurs départemens en une seule circonscription électorale. Nous avions fait prévoir que cet article de la loi aurait beaucoup de peine à passer, soit devant la Chambre, soit devant le Sénat. M. Poincaré l’a défendu très éloquem-