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plus brillans journalistes d’opposition, l’art supérieur de Prévost-Paradol et de Saint-Marc Girardin consistait à trouver des formules ingénieuses pour envelopper une apparence de désapprobation ou de critique dans les plis d’une phrase habilement cadencée. C’était le triomphe de l’allusion, de l’épigramme discrète, une passe d’armes, un exercice de beau langage plutôt qu’un acte politique. Ceux mêmes qui y réussissaient le mieux, dont le talent s’affinait à ce jeu d’escrime, exprimaient volontiers le regret d’être condamnés à tant d’habileté. Ils enviaient le sort de ceux de leurs prédécesseurs qui avaient connu un autre régime, le temps des luttes épiques où chacun combattait sous son drapeau, à visage découvert.

Dans cette France silencieuse et somnolente éclata tout à coup comme une fanfare de guerre la voix sonore du prince Napoléon. Un petit progrès venait de s’accomplir, non dans le régime de la presse, toujours aussi rigoureux, mais dans les rapports du gouvernement et des Chambres. Le droit de réponse à l’adresse du trône était rendu aux sénateurs et aux députés. Ce fut le paisible Sénat qui fit la première expérience de cette liberté nouvelle et qui l’inaugura par un coup d’éclat. La question italienne était naturellement à l’ordre du jour. On cherchait à voir clair dans la pensée intime de l’Empereur visiblement partagé entre les aspirations italiennes et la volonté plusieurs fois affirmée de conserver l’indépendance du Saint-Siège. Les orateurs catholiques, M. de Larochejaquelein, M. de Heeckeren, M. de Gabriac avaient défendu le pouvoir temporel du Pape, M. Pietri leur avait répondu, lorsque le cousin de l’Empereur, dans la séance du 1er mars, demanda la parole.

Dès le début de son discours, il provoqua l’étonnement et même quelques murmures par la véhémence de son argumentation. Il prit à partie les défenseurs de la Papauté en leur reprochant de reprendre avec leurs tendances cléricales les idées surannées du moyen âge, tandis que les Napoléon représentaient le libre esprit de la société moderne. Ayant à parler du roi de Naples auquel il n’accordait aucun droit, pour lequel il n’éprouvait qu’un très vague sentiment de pitié, il entreprit à ce propos l’histoire de la maison de Bourbon en France, en Espagne, en Italie, et il le fit dans les termes les plus outrageans pour tous les membres de la famille. Le Sénat écoutait avec stupeur cette parole