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de réfléchir profondément avant de prendre une résolution et de se consacrer tout entier à sa tâche, que la certitude que toutes ses actions ou tous ses oublis seraient exposés au public et quelquefois commentés sur un ton tout autre que celui de la bienveillance.

La Société Royale de Londres n’est pas seulement une société littéraire, elle a un caractère essentiellement charitable ; sa manière d’encourager la noble profession des lettres consiste surtout à secourir ceux qui écrivent, dans les crises de leur destinée. Elle tend la main au jeune écrivain sans appui, incapable pour ses débuts de se suffire à lui-même, au vieillard usé par le travail, à la veuve ou à l’orphelin qu’un malheur subit a laissés sans ressources. Son action bienfaisante ne se limite pas aux frontières de la Grande-Bretagne. Partout où elle découvre une misère à soulager, elle agit. Il serait facile à celui qui préside le banquet d’en citer de nombreux exemples. Il le ferait si les statuts de la Société ne le défendaient rigoureusement. La main droite doit ignorer ce que donne la main gauche. Il y a cependant une bonne œuvre qu’il est permis de rappeler parce que celui-là même qui en était l’objet a tenu à en entretenir la postérité. Lorsque Chateaubriand, émigré et pauvre, végétait dans un taudis de Londres, il n’aurait pu terminer les Natchez, le premier livre qui fonda sa réputation, s’il n’avait reçu une aide pécuniaire de la Société Royale littéraire.

Quand le Duc d’Aumale se rassit, les applaudissemens éclatèrent dans toutes les parties de la salle. Disraeli, qui se leva pour lui répondre, le fit avec un tact infini. Après avoir associé le Prince à toutes les gloires de sa race et présenté en lui le descendant direct du grand roi qui a donné son nom à la période la plus éclatante des lettres modernes, il rappela les titres personnels que s’était acquis l’ancien gouverneur général de l’Algérie en racontant l’histoire des soldats d’Afrique, après les avoir conduits à la victoire, et en analysant la plus merveilleuse campagne de César. Les révolutions sont sans pitié, mais ce qu’elles ne peuvent entamer, c’est la valeur morale de leurs victimes. « Heureux le Prince, disait l’orateur à la fin de son discours, qui, sans avoir commis une faute personnelle, banni des palais et des camps, peut trouver une consolation dans les livres et une noble occupation dans les riches domaines de la science et de l’art ! Heureux le Prince qui, dans un pays étranger, tout