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les grands maîtres italiens, français, flamands, allemands, hollandais s’y trouvaient représentés. Les prétentions de M. Reiset étaient élevées, mais la perspective de voir ses dessins entre les mains de l’illustre amateur lui fit accepter le prix de 140 000 francs. Il poussa la complaisance jusqu’à donner des conseils d’épuration que le Prince trouva trop sévères. Celui-ci écrivit à Triqueti le 26 janvier 1861 : « Retenu hors de chez moi par d’anciens engagemens, j’ai dû différer de quelques jours l’ouverture des précieux portefeuilles. Maintenant j’ai vu et revu avec la plus grande attention les 380 dessins ; ma femme et mon fils ont été associés à ce plaisir, et tout ce que je puis vous dire, c’est que notre attente a été surpassée ; tout m’a paru excellent dans le détail, et l’ensemble est saisissant. Les avis de M. Reiset me seront bien précieux pour guider mon inexpérience. Quoique la justesse de ses observations m’ait le plus souvent frappé, j’aurai quelque peine à toutes les exécutions qu’il recommande. Enfin, monsieur, je ne puis que vous le répéter, je suis on ne peut plus satisfait de l’acquisition et reconnaissant des peines que vous avez prises, du soin et du zèle affectueux avec lequel vous avez tout conduit et dirigé. » Et le 12 février, Adolphe Couturié, ami et secrétaire du Prince, écrivait à M. de Triqueti : « Le Prince est toujours sous le charme, et, quand il rentre chez lui, c’est pour courir à ses chers dessins… Colnaghi ne les a pas encore vus, bien qu’il en grille d’envie, mais les fréquentes absences du Prince, qui tient à montrer lui-même son trésor et qui n’en livre la clé à personne, n’ont pas encore permis de le convoquer. »

Ce Dominique Colnaghi, « le vieux Dom, » dont la boutique canalisait l’immense réservoir d’œuvres d’art qu’était alors l’Angleterre n’avait pas de client plus assidu que le Duc d’Aumale, qui lui dormait aussi ses commissions pour les grandes ventes de Londres. Chez le Prince, l’amateur se double constamment du bibliophile. Il visite les boutiques des libraires, surtout celle de Boone, qui a la spécialité des manuscrits anciens. Il y trouva, pour n’en citer que deux, un précieux Sacrémentaire de l’abbaye de Lorsch au XIe siècle et un Evangéliaire de Saint-Ludger, du XIIe. Il s’attachait à compléter la collection de manuscrits qui venait des Condé, la splendide série d’incunables formée par M. Standish et les trois mille volumes de la bibliothèque Cigongne, transportée de Paris a