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le regard fixé sur elle et à qui elle avait répondu, inconsciemment peut-être, par un regard révélateur de l’amour que déjà elle avait conçu pour lui.

Cet amour, non encore avoué, remontait à l’année précédente, c’est-à-dire à l’époque où, arrivée depuis peu à la Cour, elle avait vu le baron d’Armfeldt pour la première fois. C’était au mois d’août 1784. Fille du sénateur, comte de Rudenschold, elle venait de remplacer, à peine âgée de dix-sept ans, comme demoiselle d’honneur de la princesse Sophie-Albertine, sœur du Roi, sa sœur à elle, Caroline, mariée depuis peu au baron de Ehrencrone, écuyer de Sa Majesté. Dès ses débuts dans le monde royal, sa beauté, sa grâce, la vivacité de son esprit l’avaient fait admirer. Plusieurs demandes en mariage lui avaient été alors adressées. Mais, comme si elle eût prévu sa destinée, elle hésitait à se marier. Aucun des prétendans à sa main n’était parvenu à vaincre ses hésitations.

A ce moment, elle ne connaissait pas le baron d’Armfeldt. Il voyageait en Italie avec le Roi. Mais son retour suivit de près l’installation de la belle Madeleine à la Cour. Son attention se fixa aussitôt sur la nouvelle demoiselle d’honneur. Il exprima, dès le premier soir, l’attrait quasi foudroyant qu’il subissait, en disant à la princesse Sophie-Albertine :

— La Cour de Sa Majesté s’est singulièrement embellie en mon absence.

En le disant, il désignait du regard celle à qui il adressait cet hommage. Elle en resta comme foudroyée elle aussi, et dès lors sa destinée fut fixée.

Vingt ans plus tard, alors que, victime de ce malheureux amour et des catastrophes qui en furent la suite, elle déplorera sa faute et sera toute au repentir, elle dira en parlant de l’homme à qui elle attribue ses infortunes : « Il avait une âme dépravée qu’il savait cacher au moins pour moi. » Mais ce jugement date du moment où elle ne pouvait plus que gémir. Il diffère du tout au tout de celui qu’elle formulait presque au début de leur liaison, dans une sorte de confession adressée à son amant pour se mieux faire connaître de lui :

((Tous ceux qui ont vu et connu cet homme seront d’accord avec moi sur ce point qu’il réunit tout ce qui peut charmer un cœur de femme. Le bel idéal de mes rêves que j’avais cherché en vain s’est réalisé en lui. Un moment, il sembla vouloir me