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langage qu’il tenait à cet égard même en public, soit en s’adressant à elle, soit en parlant d’elle, qu’on eût dit qu’il voulait la réduire en la compromettant. Son rôle à cette occasion est véritablement odieux. Lorsqu’on le rapproche de celui qu’il tint plus tard pour se venger des dédains qu’il n’avait pu vaincre, on ne peut n’y pas voir la preuve de la plus rare bassesse d’âme.

Seul avec Madeleine, il cherche à déshonorer son amant.

— Il vous est infidèle, lui dit-il ; il est indigne de votre amour et votre fidélité provoque la pitié de ceux qui savent combien vous en êtes mal récompensée.

Puis voyant que ces propos n’excitent que mépris, il change d’allure. Il déclare à Madeleine que le dévouement qu’elle témoigne à Armfeldt, au moment où tout le monde l’abandonne, a augmenté son admiration et qu’il ne nourrit plus d’autre désir que celui de gagner son amitié.

— Intéressez-vous à moi, ajoute-t-il, et il ne lui sera rien fait de ce qui pourrait vous déplaire.

Un jour même, il va plus loin dans le mensonge. Il annonce à Madeleine qu’il a désigné Armfeldt comme gouverneur général de la Poméranie. Elle s’empresse d’annoncer à son amant la bonne nouvelle. Mais, au bout de quelques jours, comme il n’en transpire rien, et qu’en même temps, il lui revient de toutes parts qu’on raconte qu’elle a cédé aux instances du Régent, elle décide de le mettre en demeure de démentir ces propos calomnieux, de renoncer à envoyer Armfeldt en Italie et de signer sa nomination au poste qu’il souhaite.

Dans une lettre écrite au voyageur, elle lui narre ce qui s’est passé entre elle et le duc de Sudermanie.

« — Mon parti est pris, dit-elle au prince en l’abordant. On raconte sur moi des choses que je ne puis supporter. Je ne suis, ni ne deviendrai votre maîtresse, et malgré cela, le comte de Ruuth et la comtesse ont hier prétendu cela devant d’autres personnes. Je mettrai fin à tout cela en partant pour la campagne la semaine prochaine. Toutefois, je prie Votre Altesse Royale, comme gage de tous les signes d’amitié qui m’ont été prodigués, de vouloir décider sur le sort d’Armfeldt avant que je parte, car, pendant mon absence, Votre Altesse Royale ne sera entourée que de ses ennemis qui ont juré sa perte. Si vous l’autorisez à conserver toutes ses fonctions et à revenir lorsque son congé sera