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« — Tant mieux, monseigneur ; il est bon que vous soyez ferme dans vos idées et ne cédiez pas à celles des autres qui peuvent vous être funestes.

« — Comment ! vous croyez que je ne suis pas toujours ma propre volonté ! vous vous trompez fort, mademoiselle.

« — Non, monseigneur, je suis persuadée qu’avec vos lumières, votre esprit, votre caractère, vous devez conduire, non pas être conduit. Je m’en réjouis, voilà pourquoi je vous parle avec cette franchise.

« Il parut un moment interdit, puis voulut tourner la chose en plaisanterie, disant qu’il ne pouvait s’en rapporter à un juge aussi partial que moi, attendu que je lui en voulais toujours d’avoir éloigné celui que j’aime et finit par recommencer ses cajoleries et ses fadaises. »

Ces cajoleries et ces fadaises ne pouvaient pas plus troubler Madeleine de Rudenschold que ne l’avaient fait antérieurement les adjurations passionnées. Elle ne croyait plus aux sentimens qui lui étaient exprimés sous ces formes tantôt ardentes, tantôt plaisantes. Ce qui dans cette circonstance semble l’avoir contrariée, c’est que ce qui lui était dit avait été entendu par l’ambassadeur Stackelberg, par Gyldensdolpe, le précepteur du Roi, et par le baron Taube resté comme eux fidèle à la mémoire de Gustave III. S’inquiétant de la dureté avec laquelle la régence traitait les amis du feu roi et notamment Armfeldt, ils pensaient qu’avec un peu plus de bonne grâce envers le duc de Sudermanie, Madeleine pourrait obtenir un sort meilleur pour celui qu’elle défendait avec âpreté. Sans la pousser à céder aux instances du Régent, ils étaient d’avis qu’elle ne devait pas lui enlever tout espoir.

A en croire sa correspondance, ils le lui répétèrent ce jour-là. C’était vouloir amollir un roc. Elle était convaincue que le prince ne lui faisait encore la cour que pour couvrir sa retraite et que sa vanité seule était en jeu. Elle ne se trompait pas. Les favoris du duc de Sudermanie travaillaient depuis plusieurs mois à détourner ses convoitises de l’objet qui les avait allumées et dont ils redoutaient l’influence. Par leurs soins, le prince était retombé sous le joug de l’actrice Stolsberg, « son ancienne habitude. » Quand il était las de leurs obsessions, c’est chez elle qu’il cherchait un abri pour goûter un peu de repos et oublier les soucis que lui créait la politique. D’autre part, en ces derniers