Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parviennent à tromper la surveillance des torpilleurs italiens. La moitié serait encore suffisante.

Les Turcs disposent de 6 000 fusils Mauser. Ils possèdent, en outre, un assez grand nombre de Martini pris aux Italiens.

Mais que valent ces armes délicates en des mains inexpérimentées ? Il faut mettre des tampons au canon, envelopper la culasse de chiffons, pour éviter l’encrassement par le sable. L’indigène qui arrive au combat n’a ni le temps, ni le goût de s’instruire de leur maniement. Même, un jeune soldat qui parlait français, natif de Tripoli, préférait une carabine de chasse à son Mauser. Il l’avait achetée pour 40 francs à un Maltais. Le Martini n’est pas apprécié ; on le juge inoffensif : la balle est de trop faible calibre. Dans les engagemens à courte distance, on a vu des combattans avoir la poitrine traversée de part en part, sans hémorragie.

L’indigène continue d’employer ses armes habituelles ; et personnellement, j’ai vu entre les mains de ces francs-tireurs beaucoup plus de fusils à pierre que d’autres ; quantité de tromblons également à pierre ; et il s’en faut que tous les caravaniers, la plupart combattans occasionnels, soient munis d’une arme à feu.

Mais les Tripolitains sont des guerriers redoutables qui rachètent leur faiblesse numérique et leur armement rudimentaire par une intrépidité sans égale et par un absolu mépris de la mort. Au surplus, ils savent tirer le meilleur parti de leur fusil à pierre. A 80 mètres, ils abattent leur homme.

Les Turcs sont, malheureusement pour eux, dépourvus d’artillerie. Ils possèdent quelques canons emmenés de Tripoli et qui, remisés au camp d’Azizié, attendent les événemens. Les canons firent merveille au début de la guerre. La batterie fantôme du capitaine Ahmed Chougri, composée de deux canons, harcela les Italiens pendant quarante-cinq jours. Elle est restée légendaire, même à Tripoli…

Pendant quelques jours, j’ai recours aux bons offices d’un volontaire tripolitain pour me guider à travers ce grand pays désolé. L’homme est petit, glabre, bien musclé. Son visage est celui d’un adolescent, ses traits ont de la candeur ; et son existence est celle d’un bandit des grands chemins. Court vêtu d’une sorte de chemise en loques, jambes nues, le burnous jeté sur l’épaule, il porte un poignard à la ceinture et, dans le dos,