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l’on cherche l’or italien au fond de leur poche. Encore ont-ils dû faire aux troupes maintes promesses de victoires et de prises fructueuses. Pourront-ils les tenir en haleine jusqu’au bout, et n’y a-t-il pas à craindre qu’un jour, fatiguées de trop attendre, ces bandes ne se retournent contre eux ?


Depuis le début de la guerre, les côtes n’étant plus libres, tout le commerce tripolitain se fait par l’Egypte et par la Tunisie.

Du côté de la Tunisie, le marché principal d’approvisionnement en vivres de toutes sortes (orge, maïs, farine) est Ben Gardane, notre poste frontière près du lac des Bibans.

Il y vient en moyenne de 6 à 8 000 chameaux tripolitains par semaine. Le trafic mensuel de ce marché s’est élevé dans ces derniers temps à 800 000 francs.

Quelques jours avant mon départ, je vis arriver une caravane d’au moins 3 000 chameaux. Dans l’après-midi, elle atteignit les abords du village et s’arrêta pour passer la nuit, sur le terrain de campement que la Résidence a réservé à cet effet.

Ce fut une vision saisissante. Cette horde clairsemée, toute sombre et poussiéreuse, s’avançait sur un front immense.

La plaine aux tons bruns miroitait, des émouchets volaient mollement dans la brise marine, le soleil commençait de rougeoyer à l’horizon ; le silence était partout. Tandis que les premiers groupes exécutaient des mouvemens tournans, s’installaient déjà, selon des règles que l’on devinait fixées par la tradition, les derniers apparaissaient encore dans le lointain, tout grandis sur le ciel, comme s’ils se balançaient dans l’azur d’un mouvement imperceptible et berceur.

J’errais parmi ces gens qui, demain, seraient mes compagnons de piste et de solitude. Je ne voyais point sur les visages d’hostilité déclarée, de mépris trop affiché ; — quelques-uns m’offrirent le thé ; — mais je ne parvenais pas à pénétrer les sentimens de ces nomades au front têtu, au regard court, pour qui la vie n’est que rudesse, fatigues et privations…

Les chameaux entravés, les ânons, les chevaux, crinière au vent, mangeaient en cercle leur ration d’herbes coriaces ; les ballots s’amoncelaient tous en abris semblables ; avec un sens avisé de l’orientation, des feux pétillans d’épines s’allumaient