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Rigoureusement les bienséances ne permettaient pas aux femmes séparées de vivre ailleurs qu’au couvent, mais il n’en manquait pas qui ne se faisaient pas scrupule de rester dans le monde.

Nous n’aurions pu diminuer le nombre des cas particuliers que nous venons de produire, sans faire moins bien comprendre comment la vie commune était dissoute par des séparations de fait qui n’avaient d’effet légal que lorsqu’elles étaient sanctionnées par les tribunaux et par l’Eglise. Il faut se rappeler, pour réagir contre l’impression laissée par la fragilité des unions dont nous avons raconté l’histoire, que les foyers désorganisés ont toujours fait parler d’eux plus que les bons ménages, que la justice et la chronique ont eu à s’occuper des premiers beaucoup plus que des seconds.

Le trait le plus frappant, au point de vue moral, dans les rapports des époux, c’est peut-être la déférence que le chef du ménage obtient de sa compagne. Quand elle lui écrit, elle se qualifie sa très obéissante femme et servante, sa très humble servante et femme. Dans certaines provinces, dans le Morvan, notamment, elle lui parle à la troisième personne, elle le sert à table et assiste debout à ses repas. Cette déférence n’était pas comprise seulement comme un hommage à la suprématie maritale, mais tout autant comme un moyen, pour celle qui en était redevable, de s’assurer par une influence de tous les instans le pouvoir réel. Nicolas Pasquier a tracé avec agrément pour sa bru, Mlle de la Brangelie, une méthode qui établit la charte naturelle et permanente d’un régime domestique où, comme dans le régime constitutionnel, le roi règne et ne gouverne pas. Consultez toujours votre mari, lui dit-il en substance, de façon à l’amener à faire ce que vous voudrez. Laissez-lui l’honneur de paraître tout faire et jouissez de la réalité de tout faire avec son aveu. N’est-ce pas aussi de cette méthode qui part de la déférence pour arriver à l’influence et au gouvernement que s’inspire ce conseil d’un père à sa fille : « Rendez-vous aux occasions facile et adroite à lui faire croire que ses raisons, quoique vous les sachiez fausses, vous satisfont, et que personne ne vous peut mettre autre pensée dans l’esprit que ce qu’il vous dit. »

De même que la cohabitation était pour la femme mariée la première obligation légale, la fidélité était son premier devoir moral. Si l’opinion et la loi faisaient une grande différence