Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/574

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et administratives ; c’est toujours là que l’abbé de Saint-Pierre en revient. Il faudrait une direction des Beaux-Arts, comme nous disons, ou un « bureau des gens vertueux et connaisseurs, » comme il dit. Ce bureau serait d’abord une censure ; mais, et c’est ici que l’abbé est original, il n’aurait pas seulement un rôle prohibitif : il encouragerait par des récompenses la littérature vertueuse et il ferait raccommoder, il n’y a pas d’autre mot et dans son sens étymologique il est très juste, les anciens ouvrages. L’abbé de Saint-Pierre y voit deux avantages : cela sauverait les ouvrages anciens menacés sans cette mesure de tomber en désuétude comme les vieux monumens en ruines ; — cela mettrait les ouvrages anciens, au niveau de la raison publique, laquelle, comme on sait, est toujours en progrès : « Les anciennes pièces [il songe surtout au théâtre] ainsi modifiées produiraient du nouveau et de l’excellent nouveau, ce qui serait un moyen de les faire vivre toujours, sinon elles périraient avec la langue ancienne ; on ne joue plus de pièces de cent vingt ans, on ne jouera plus Racine dans deux cents ans [mauvais prophète très probablement]. Ensuite ce changement serait conforme à la nature humaine dont la raison va toujours en croissant, dont le bon goût se perfectionne tous les cinquante ans. Et enfin [troisième avantage que j’avais oublié] nous aurions de nouvelles pièces meilleures, car personne ne voudrait donner une pièce de moindre valeur que les bonnes pièces [ainsi perfectionnées] de Corneille, Racine et Molière… On imprimera donc : « Comédie de Sertorius, de P. Corneille, perfectionnée par M. B… » et cinquante ans plus tard : « par M. B… et depuis par M. R… » et ainsi chaque auteur pourra espérer que son nom durera autant que l’ouvrage. »

Il ne faut pas s’étonner outre mesure de cette proposition. M. Drouet fait remarquer qu’en pratique ces raccommodages ont été très fréquens au XVIIIe siècle ; que Marmontel a restauré Rotrou et Quinault et Ducis Shakspeare ; que Voltaire a « habillé la Sophonisbe de Mairet a la moderne » et qu’il a recommandé d’appliquer cette recette à la moitié du théâtre de Corneille : « Nous avons des jeunes gens qui font très bien des vers sur des sujets assez inutiles ; ne pourrait-en pas employer leurs talens à soutenir l’honneur du théâtre français en corrigeant Agésilas, Attila, Suréna, Othon, Pulchérie, Pertharite, Œdipe, Médée, Don Sanche d’Aragon, la Toison d’Or, Andromède…, même