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propices, et la distinction même de son talent, assurèrent à Schloezer une place à part, dans le corps diplomatique de l’époque bismarckienne : des initiatives lui furent laissées, des responsabilités aussi. En bon bismarckien, il envisageait les problèmes qui se posent à Rome comme des questions de puissance (Machtfragen). D’esprit trop élégant, peut-être, pour parler de Rome comme d’une Babylone ou du successeur de Pierre comme de l’Antéchrist, ou pour s’attarder, avec certains de ses coreligionnaires, à des récriminations contre la guerre de Trente Ans, ses propres origines confessionnelles et son scepticisme ultérieur le rendaient incapable de comprendre l’importance de l’établissement catholique pour l’éducation religieuse de l’humanité ; on ne pouvait demander à un esprit comme le sien d’attacher quelque valeur spirituelle au grand fait religieux qu’est la Papauté. Schloezer, à Rome, ne faisait point de métaphysique ; il faisait de la politique. Dès 1871, alors qu’en Prusse les nationaux-libéraux s’imaginaient que la Papauté détrônée ne comptait plus dans le monde, Schloezer, qui venait d’être nommé à Washington, éprouvait la nécessité d’aller d’abord passer trois semaines à Rome. « L’Eglise catholique, écrivait-il alors à Bismarck, prend une importance croissante dans l’Amérique du Nord, eu égard aux élémens allemands : il serait pour moi d’un haut intérêt d’utiliser mon séjour en Europe pour jeter un coup d’œil sur la situation romaine actuelle. » La place que gardait le Saint-Siège dans la politique internationale, voilà ce qui intéressait Schloezer, et voilà ce qu’il observait, avec une subtile acuité, sans bienveillance, mais sans esprit de secte, avec un certain penchant à traiter le Pape, — cet homme fort, — non point en ami, non point en ennemi, mais en partenaire d’une belle partie. Lefebvre de Behaine, qui fut bientôt son collègue, et qui, de longues années durant, se mesura contre lui sur l’échiquier romain, lui savait gré d’un autre trait : « De relations très sûres, écrivait-il en 1898, connaissant à fond l’Italie et les Italiens, M. de Schloezer était étranger à ces passions qui ont dominé depuis vingt-cinq ans la politique du gouvernement du roi Humbert, et au nom desquelles les hommes d’Etat de la Consulta se sont constamment efforcés de faire de la Triple-Alliance une arme offensive contre la papauté autant que contre la France. » La croisade internationale contre la papauté avait échoué lorsque l’Allemagne bismarckienne la projetait. Schloezer,