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Et dans ces mêmes Annales Prussiennes où Jolly laissait voir un stérile dépit, Treitschke en personne, l’ancien député national-libéral, l’historien cher aux nationaux-libéraux, avait la franchise de hasarder un aveu singulièrement grave :


Nous avons besoin de la paix religieuse, moins pour des raisons politiques que pour des raisons morales. Au cours des années, la lutte entre l’État et l’Église a perdu beaucoup de son caractère primitif, qui était exclusivement politique ; elle a donné une puissante impulsion, dans notre peuple, aux élémens anticonfessionnels. Quiconque étend son regard au-delà du lendemain, peut à peine se défendre de penser que dès le début, peut-être, du siècle prochain, une immense lutte peut s’engager, dont le christianisme, dont tous les principes de la moralité chrétienne, seront l’enjeu. Partout en Europe, de violentes forces de négation et de dissolution sont à l’œuvre. Le jour peut venir, où tout ce qui est encore chrétien devra se rassembler sous un drapeau. Lorsque au ciel apparaissent de tels signes, il n’y a rien de plus dangereux qu’une lutte qui trouble les consciences.


De plus en plus nombreuses étaient les voix qui réclamaient la paix ; et cependant, de mai à novembre 1882, on n’avait rien fait pour s’y acheminer. En novembre même, l’idée d’un projet de loi sur la liberté des sacremens traversa l’esprit de Bismarck, qui trouvait que l’Etat gaspillait en vexations insupportables son prestige et sa force ; et puis il ajourna, pensant avec de Hohenlohe, avec le juriste Friedberg, qu’il fallait éviter toute complaisance jusqu’à ce que Rome fit d’autres concessions.

Il y avait de la cordialité, un parti pris d’espérer, mais aucune promesse dans les phrases par lesquelles Guillaume, le 13 novembre, résumait devant le nouveau Landtag la politique ecclésiastique : le monarque affirmait la « tendance conciliante » du gouvernement prussien, mentionnait avec joie les rapports amicaux noués avec le l’ape, exprimait la confiance que la situation politico-religieuse en serait améliorée, et donnait l’assurance que la Prusse voulait « faire droit aux besoins religieux de ses sujets, en tant que cela était compatible avec les intérêts généraux de l’Etat et de la nation. » C’était bienveillant, mais vague. Moins de trois semaines après, Léon XIII adressait à l’Empereur une longue lettre, pleine d’effusions gracieuses : il marquait sa joie pour ce discours, sa joie pour le rétablissement des relations diplomatiques ; il redisait comment l’Eglise peut contribuer à l’éducation et à l’affermissement des vertus civiques ; et pour qu’en Allemagne elle [put exercer ce rôle, il