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Le bruit se colportait dans certains cercles parisiens qu’après avoir été préposé à l’installation de la Galerie des Antiques, Visconti croyait pouvoir compter sur la direction générale du Musée, et que le gouvernement aurait été effarouché par l’excessive liberté de son langage, par l’exaltation de ses idées démocratiques ou anti-religieuses. Il n’y a vraisemblablement de fondé dans ce racontar que la déception de Visconti ; sous le titre de Direction générale du Musée central des arts, Bonaparte ressuscitait l’antique direction générale des bâtimens, avec ses multiples attributions, ou plutôt il créait une surintendance des beaux-arts : il y fallait, outre les aptitudes de l’administrateur et la dextérité du courtisan, la notion approfondie et jusqu’à un certain point la pratique des diverses branches de l’art, la connaissance exacte du personnel des artistes contemporains, toutes qualités dont se trouvait évidemment pourvu l’éminent archéologue romain. Ce qui est certain, c’est que le jour même où était remaniée l’organisation du Musée, un second arrêté consulaire, minuté de la main de Chaptal, nommait directeur général, avec un traitement de 12 000 francs, « le citoyen Denon. »

Ce futur baron de l’Empire s’était appelé sous l’ancien régime le « chevalier de Non : » sensiblement plus âgé que la majorité des collaborateurs de l’œuvre napoléonienne, il comptait alors cinquante-cinq ans. On a maintes fois rapporté comment, venu de Bourgogne pour étudier le droit à Paris, l’antiquaire Caylus l’avait déterminé sans peine à suivre sa vocation artistique ; comment il avait forcé en quelque sorte, par l’audacieuse assiduité de ses hommages, la faveur de Louis XV à Versailles et celle de Voltaire à Ferney ; comment, secrétaire et un moment chargé d’affaires de l’ambassade de France à Naples, il avait mené de front la diplomatie, l’art, la galanterie, et renouvelé auprès de la reine Marie-Caroline les exploits légendaires de La Chétardie à la Cour de la tsarine Elisabeth ; comment enfin il avait ouvert un atelier de gravure à Venise, puis traversé la Terreur à Paris, grâce à la protection du peintre David. Nous savons aussi que Denon avait volontiers le propos leste dans l’intimité, que sa plume était à l’occasion badine, comme en témoigne un petit conte trop vanté, Point de