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commémoratifs des actions d’éclat, mais aussi et principalement pour inventorier les trésors artistiques des vaincus, pour les écrémer au profit des galeries du Louvre. Indifférent à l’humiliation de ceux qu’il dépouillait, dédaigneux de dissimuler son orgueil de conquérant et ses convoitises de collectionneur, ses prélèvemens d’objets d’art provoquaient presque autant de malédictions dans les pays envahis que l’inflexible fiscalité de son ami Daru ; les rancunes accumulées se traduisirent parfois en propos calomnieux, que Mme de Rémusat a recueillis sans parvenir à les accréditer. Si les grognards de la Grande Armée s’amusaient à appeler Denon « l’huissier priseur, » ce sobriquet était dépourvu sur leurs lèvres de toute intention outrageante. Ils savaient ou ils devinaient que Denon s’estimerait pleinement récompensé au retour, en organisant une de ces triomphales exhibitions des « objets conquis, » qui provoquaient la curiosité et l’enthousiasme des Parisiens.


IV. — LES SCULPTURES ANTIQUES

A la fin de mars 1803, les journaux annonçaient l’arrivée à Paris d’un premier convoi des antiques rétrocédées par le gouvernement napolitain ; le reste, comprenant les pièces les plus volumineuses et les plus précieuses, devait suivre de près.

Plus tard, en séance publique de l’Institut, Denon se mit en frais de rhétorique et d’adulation pour exalter les conditions prodigieusement favorables dans lesquelles le transport s’était accompli : « Une étoile, qui est devenue la nôtre, a présidé à tous les événemens relatifs à ces envois. » En réalité, s’il n’y eut aucun marbre sérieusement endommagé, le second convoi, le plus impatiemment attendu, chemina avec une désespérante lenteur. Par négligence ou indolence, le commissaire qui le dirigeait, un certain Psesser, se laissa surprendre par la baisse estivale du plan d’eau dans les canaux, et il fallut faire une halte prolongée à Saint-Aubin, non loin de Moulins. Des animaux vivans exotiques, que le convoi amenait au Jardin des Plantes, souffrirent beaucoup de cette navigation interminable : Denon rapportait sérieusement, et même avec une pointe d’émotion, l’histoire d’un lionceau qui, depuis le départ de Marseille, aurait grossi au point de ne plus pouvoir faire un mouvement dans sa cage !