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aux sentimens et aux habitudes que, dans les coutumes d’Orléanais, de Touraine, d’Anjou et du Maine, il était de droit pour les successions ab intestat et qu’un avocat pouvait dans un factum en parler en ces termes : «… Il n’y a point de cas plus favorable et commun en droit que celui d’un mari qui laisse à sa femme non pas simplement l’administration ou même l’usufruit entier de tous ses biens, mais, qui plus est, le pouvoir d’en laisser la propriété à l’un des enfans que bon lui semblera, dont il a même été jugé en ce cas, par arrêt solennel rendu en l’audience de la grande chambre le 7 juillet 1642, qu’elle n’était pas privée par un second mariage. » Ces dispositions testamentaires donnaient naissance à une indivision fondée, non seulement sur l’autorité et les devoirs de la mère, mais généralement aussi sur la solidarité des enfans, dont les cadets étaient confiés aux soins, placés sous le patronage de l’aîné.

On aperçoit tout de suite la forte constitution qu’un pareil régime successoral révèle dans la famille et qu’il lui assure, la confiance qu’il atteste chez le mari à l’égard de la femme, l’indépendance, le pouvoir et la dignité qu’il conférait à la mère. On en voudrait à Montaigne d’avoir méconnu la portée et la moralité sociale de ce mode de transmission héréditaire si au moraliste qui a visé à atteindre, sous ses multiples diversités, sous ses costumes de Grec, de Romain, de civilisé et de sauvage, l’homme en soi, il était légitime de demander de se préoccuper, tout comme un Montesquieu ou un Bonald, de l’adaptation de l’individu a la plus grande prospérité des sociétés. Montaigne nous apprend qu’il n’a pu voir sans scandale un officier de la Couronne, futur héritier de 50 000 écus de rente, mourir à cinquante ans dans la gêne, laissant une mère en possession, à l’âge de la décrépitude, de l’immense fortune de son mari. Ce délicieux compilateur de faits divers ne s’est pas demandé si ce n’était pas par sa faute que ce personnage, si bien placé pour s’assurer de larges moyens d’existence, était resté accablé de dettes. Et il prend occasion de ce cas particulier, qui serait peu concluant, même s’il était mieux circonstancié, pour nous donner ses vues sur la question. Ce qui lui paraît le plus raisonnable, c’est de laisser l’administration des biens à la mère tant que les enfans sont mineurs, surtout de ne pas la placer dans leur dépendance, de l’avantager plutôt à leur préjudice, particulièrement au préjudice des enfans mâles, parce que la gêne serait plus