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« Plus je les relis, mon ange, écrivait-elle le 29, et plus je sens l’étendue de mon malheur de n’avoir pas inspiré plus de confiance en mon amour, en ma constance, comme au caractère décidé que j’ai mis dans ma conduite et que je ne voudrais pas, sans même la passion qui m’unit à toi, démentir pour aucune considération du monde ! Supposé même que j’eusse eu la faiblesse de prendre du goût pour ce jeune homme, me crois-tu assez folle pour ne pas voir que cette inconséquence me rendrait le rire de tout l’univers, après avoir manifesté aussi hautement mes sentimens pour toi ? Et cette tête que tu accuses de tant de légèreté n’a connu qu’un seul entraînement dans l’espace de sept ans que nous avons été unis. J’aurais pu bien souvent, ne fût-ce que pour me venger, me permettre quelque étourderie. L’ai-je fait ?… J’ai senti toute l’horreur de devoir t’abandonner quand tu étais malade. Que serait-ce donc quand tu es malheureux et que les chagrins te rendent mille fois plus cher à mon cœur ! Mettons à part mon amour et le chagrin que je te causerais par une inconstance, que serais-je aux yeux du public, dont je suis méprisée à cause du préjugé que j’ai bravé ? Il ne me reste qu’une seule vertu, celle de ne pas changer avec la fortune et de rester ta fidèle amante jusqu’au dernier souffle de ma vie.

« Quelle gloire aurais-je tirée de mon refus au Duc si je pouvais aimer un autre que toi ? Ce refus ne serait plus de la constance chez moi, mais seulement que mon goût ne m’y portait pas.

« Ah ! tu n’as pas envisagé toutes ces circonstances avant de me déclarer coupable. Ah ! pojke, quel injuste et affreux soupçon tu t’es permis ! Pourras-tu jamais effacer les larmes amères qu’il m’a coûtées. Moi t’oublier ; moi m’avilir ainsi à mes propres yeux ! Comment as-tu pu t’imaginer ? Non, ta Malla te jure en face du ciel que, depuis ton départ, tu as toujours été l’objet de toutes ses pensées, de son amour le plus illimité… »

Trois jours plus tard, faisant part au voyageur « d’une histoire ridicule » qui courait sur son compte et qui la présentait comme prête à partir pour la Russie, en qualité de « dame d’atours » de l’impératrice Catherine, elle en profitait pour affirmer de nouveau son entière innocence et pour protester de son amour :

« Je reprends la plume pour te remercier, cœur de ma vie, de ta charmante lettre du 18, de Prague. Dieu ! comme il me tarde que tu reçoives la mienne à Vienne. Ah ! pojke, tu ne peux