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ne jamais perdre le Roi de vue, il le laissait des heures avec des personnes qui ne lui inspiraient que des principes contraires à nos plans.

« En ce moment, on m’apporte ton portrait. Dieu ! que de larmes de tendresse cette image me fait verser ! Mais qu’est devenu ce regard séduisant qui attirait tous les cœurs à mon amant ? Son œil devient farouche et me plonge dans la douleur. Ah ! Pojke ne reprendra son ancienne sérénité qu’en serrant sa Malla dans ses bras. Ces traits enchanteurs perdront leur amertume quand ton amante sera là, partageant avec toi le fardeau de tes peines…

« Oui, mon ami, je pars, je vole dans tes bras, aussitôt que la Davidoff aura fixé son voyage : rien ne pourra me retenir. J’écris le courrier prochain à la princesse pour lui demander d’abord un congé de six mois, que je prolongerai après et je serai auprès de toi, âme de ma vie…

« Ah ! mon ange, a quand le moment heureux de nous répéter de vive voix ces assurances qui doivent éterniser notre attachement ? Mais, je ne le cache pas, je tremble pour l’avenir. Mme Armfeldt avec toi, ta pauvre Malla courant le monde, ne goûtant le bonheur de t’avoir qu’un instant à Vienne et, après cela, obligée de passer tout l’hiver dans un pays étranger, loin de toi, où à coup sûr tu ne viendras pas, te sachant au fond de l’Italie enseveli dans ta famille… Mais enfin, tu le veux, tu l’exiges, il faut m’y résigner, si ce n’est que pour te convaincre de la force de mon amour.

« Comme tu vois, mon ange, mon imagination broie du noir. Mais je ne connais pas d’autre bonheur que celui de vivre et de mourir à tes côtés ; cet heureux espoir est loin de moi, il faut me résigner, le bonheur n’est réservé qu’à ta femme. A ta Malla il est tombé en partage le triste sort de l’isolement. Pardon, mon tendre ami, cette plainte, elle échappe à ma plume malgré moi, malgré ma résolution de ne pas t’en importuner.

« J’ai été l’autre jour chez Stackelberg ; il m’a demandé si le Roi ne m’avait pas parlé de toi. Il tenait à savoir où tu en es avec le Roi, si tu étais sûr de son agrément en ce que tu entreprendrais. Sur quoi, j’ai pris sur moi de lui répondre que j’en avais parlé au Roi qui me dit qu’à ton départ, il t’avait donné sa parole d’agir selon tes principes et tes vues et qu’il ne