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gagner le prince, en faisant payer ses dettes par l’impératrice Catherine. Bien que, dans sa lettre du 22 mars, Madeleine eût laissé entendre que l’exécution en était difficile, elle n’avait pas renoncé cependant à essayer de l’utiliser. Puis, à la réflexion, elle l’avait vu sous un jour plus favorable. Malheureusement, au moment de tenter de le mettre en pratique, elle était tombée malade et c’est seulement lorsqu’elle fut convalescente qu’elle put aviser aux moyens d’y parvenir, en profitant de l’impression que devaient produire sur le Régent les succès des armées coalisées.

12 avril. — « Comme c’est le premier jour depuis ma maladie que je puis être assise sur une chaise et que j’ai beaucoup de choses à te dire, il faut que j’entre vite en matière.

« Le Duc est dans une disette d’argent épouvantable, ce qui facilitera l’affaire. Mais voici un petit changement que je te propose : c’est qu’à la place de la lettre que tu veux que l’Impératrice écrive au Duc, je pense qu’elle devrait envoyer un agent secret qui serait devancé par la réputation d’être franc-maçon ; il parviendrait bien plus aisément, car si le Duc reçoit une lettre, il la montrera tout de suite a Reuterholm et tout deviendrait inutile. Après cela, il me parait nécessaire, s’il se laisse gagner, comme je n’en doute pas, que l’exécution de cette allaire se fasse pendant qu’il sera en voyage avec le Roi, cet été, éloigné de tous ses ministres et que tout soit expédié avant son retour, car s’il les voit, tout est perdu ; il n’aura plus le courage à rien. »

16 avril. — « Que dis-tu des bonnes nouvelles de l’armée française ? Je ne désespère pas de voir ces abominables assassins de Louis XVI punis comme ils le méritent. Que ne pouvons-nous y joindre tous ceux du grand Gustave pour en tirer une vengeance complète ? Le Régent doit être édifié des bons avis qu’on lui a donnés. J’espère qu’il recevra leurs têtes en guise des subsides qu’on lui avait promis si magnifiquement. »

19 avril. — « Les bonnes nouvelles de France ont fait leur effet. Les Jacobins suédois ont été sinon anéantis, du moins intimidés. Le général Taube sort à l’instant de chez moi. Ce fut par Son Excellence que Fersen envoya sa dépêche au duc. Il est monté tout de suite la remettre à Son Altesse. Elle eut la duplicité de recevoir cette nouvelle avec toute la démonstration d’une véritable joie. Le Vizir survint, qui reçut le coup de foudre avec toute l’émotion de la rage contenue, fendant la bouche jusqu’aux oreilles pour s’écrier que c’était la journée aux surprises. Le