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petit Grand Chancelier arriva tout effaré, suppliant le Duc de tirer parti des circonstances en ordonnant à Fersen d’entamer les négociations. Taube, avec son fiel ordinaire, fit sentir qu’il serait peut-être un peu tard pour passer l’éponge sur le passé, mais qu’en tout cas, si c’était réellement l’intention du Duc de réparer, il ne devait pas tarder une minute d’envoyer un courrier à Fersen. Aussi, le même soir, Reutersdart partait, muni des ordres à Fersen de suivre en tout exactement le plan que le feu Roi lui avait tracé ? Quel triomphe pour les amis du Grand Roi ! Aussi je ne me sens pas d’aise. J’aurais donné tout au monde pour avoir été du souper de mardi ; j’aurais eu l’occasion de leur détacher quelque épigramme, que ma satisfaction et ma haine auraient rendue doublement amère. Mais, dussé-je mourir dans l’escalier, mardi prochain, si ces nouvelles se confirment, j’irai au souper de la duchesse. »

Les nouvelles qui mettaient Madeleine en joie ne se confirmèrent pas et les espérances auxquelles on l’a vue se livrer furent anéanties par les revers des armées coalisées. A en croire la jeune femme, le Régent, qui avait caché son dépit quand les informations envoyées par Axel de Fersen présentaient les Français en déroute, n’en dissimula pas moins sa satisfaction quand il fut prouvé qu’elles étaient erronées.

26 avril. — « Ayant soupe hier soir chez la duchesse, c’était ma première sortie ; je vis le besoin qu’il avait de me parler des dernières nouvelles. Il me dit dès qu’il m’aborda :

« — Eh bien, toute cette belle équipée de Dumouriez n’a été qu’un coup d’épée dans l’eau.

« — Oui, malheureusement, monseigneur. Nous caressions déjà l’heureux espoir de voir les Jacobin s régicides suffisamment punis.

« — Les Autrichiens ne sont pas maîtres de Lille, comme l’avait annoncé le comte Fersen, dit le Duc avec un sourire amer. Il trouvait la nouvelle sans doute trop bonne pour ne pas la débiter.

« — Oui, il s’est trop hâté, en recevant cette nouvelle qu’il croyait vraie, de la communiquer. Persuadé du plaisir qu’elle devait faire à Monseigneur, il n’a pu résister d’être le premier à vous l’apprendre.

« Il me quitta sans dire mot et se garda bien de m’adresser la parole de toute la soirée. »

29 avril. — « Je suppose qu’à l’arrivée de celle-ci, tu seras au moment de perdre notre belle Abbesse. Je t’en fais mon