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Je m’incline, écoutant, vers la nuit et l’eau noire,
Comme sur une conque où pleure encor le flot…
Et d’entendre à mes pieds l’obscur et lent sanglot
Me fait songer à tous les lacs de ma mémoire !
Ces jours où, quand au vent les drapeaux ont flotté,
On s’embarque, cinglant dans l’azur. Et j’évoque
Le bruit de l’eau fuyante au flanc doux de la coque ;
Le blanc sillage est comme une neige d’été,
On a du plaisir frais plein sa poitrine pure,
Et l’on croit, sous l’essor penché de la voilure,
Que l’on part conquérir la jeune liberté !…
Lac changeant… Je connais si bien chaque nuance,
Depuis l’heure où l’aurore au ciel froid se France
Jusqu’au chaud crépuscule où les barques ont l’air
D’ibis roses prêts à voler vers le soir clair !
Ou bien la pluie et les sarcelles dans la brume ;
L’aile d’un cygne enflée aux brises du beau temps ;
La vague verte avec ses volutes d’écume
Ou les après-midi de calme, miroitans…

 — Le lac vient là, tout près… Je sais qu’il est immense.
Il berce la langueur sensible de la nuit
Et j’écoute… Et j’entends que s’exhale de lui,
Soupir d’une divine et sereine indolence,
Vaguement, la nocturne haleine du silence…


LE MALADE


Ne venez pas trop près. Je me recueille. Il faut
Laisser combattre en moi ma mourante jeunesse.
Pour qu’un peu de ferveur courageuse renaisse,
Peut-être, dans mon corps allongé, faible et chaud.
Je me tais… Comprenez mes yeux et mon silence
Et plaignez-moi d’être déjà si loin de vous
Parmi l’ombre où je sens tous mes rêves dissous…
Continuellement la pendule balance
L’heure qui parfois tombe en débris argentins
Car ce jour lentement décroit… un jour encore ?
Voici que mon rideau fleuri se décolore,
Et la pitié du soir descend vers les jardins.