Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/717

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

caractère, et il ajoute qu’aucune loi ne peut leur en donner. Aucune ne peut leur en donner en effet, mais il y en a qui peuvent leur en ôter. Les caractères des hommes étant ce qu’ils sont, nos institutions les mettent à une épreuve à laquelle ils sont incapables de résister. C’est du moins ce qui est arrivé trop souvent. Peut-être en sera-t-il autrement avec M. Poincaré : il vient, en effet, de prononcer à Gérardmer un discours qui tranche singulièrement, nous voulons dire heureusement, avec ceux auxquels nous sommes habitués. « Nous n’entendons pas, a-t-il dit, faire figure d’un gouvernement qui se laisse gouverner. » Langage admirable, que nous n’avions pas entendu depuis longtemps et qui, à lui seul, est tout un programme. M. Poincaré a touché à bien des points sur lesquels nous ne le suivrons pas aujourd’hui, parce que cela nous détournerait de la loi électorale : au surplus, il lui a consacré la plus grande partie de son beau discours, et il s’est exprimé à son sujet avec une netteté, une précision, en même temps qu’avec une élégance de langage qui nous ont tiré de l’embrouillamini de M. Clemenceau. M. Clemenceau s’est senti touché ; il a répliqué par une lettre à M. Poincaré, dont le style n’est plus le même que celui de son manifeste ; nous reconnaissons qu’il est meilleur ; mais, à travers sa clarté reconquise, l’insuffisance des argumens n’apparaît que mieux. M. Poincaré a répondu en deux mots, par une sorte d’accusé de réception, qui a mis fin à une correspondance assez inutile : rendez-vous est pris devant le Sénat. En attendant le débat qui se prépare, nous nous en tenons à l’explication suivante de M. Poincaré. « Autant il est indispensable, a-t-il dit, que ce soit la majorité qui décide, autant il est juste que toute la nation soit appelée à délibérer, et, puisqu’elle délibère par ses représentans, il faut que cette représentation soit l’image, aussi fidèle que possible, du pays tout entier. » Tel est effectivement l’objet en quelque sorte philosophique de la réforme, mais son but pratique, on ne saurait trop le répéter, est d’assainir nos mœurs publiques. Si le pays la veut, c’est dans l’espoir que les influences qu’il a vues s’exercer cyniquement perdront quelque chose de leur force au profit de la force et de l’indépendance du pouvoir central.

Là est, à nos yeux, le véritable intérêt et le sens vrai de cette réforme. Le comité qui s’est formé, sous l’égide de M. Clemenceau et de M. Combes, pour la défense du suffrage universel, comité composé par moitié de députés et de sénateurs, annonce qu’il multipliera les brochures et les conférences. Soit : on lui répondra. La volonté du pays se dégagera. M. Clemenceau, dans un passage de son manifeste,