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dans des temps plus reculés. Dans les milieux frivoles, elles vivent, comme les hommes, au gré de leur caprice ; dans les groupes plus sérieux, elles adhèrent, comme les hommes, à un devoir spontanément choisi. Mais, dans un cas comme dans l’autre, dans la libre obéissance comme dans la complète indépendance, elles sont devenues maîtresses de leur destinée individuelle.


II

Elles sont devenues aussi, dans une large mesure, maîtresses de leurs biens, et ceci ne constitue pas, si l’on se reporte en arrière, une innovation moins considérable.

A l’origine, en effet, le droit de propriété n’existe pour la femme qu’avec des restrictions qui, en pratique, l’annulent ou peu s’en faut. On ne définirait pas mal sa condition juridique en disant qu’elle peut posséder, mais qu’elle ne peut disposer de ce qu’elle possède. Elle peut posséder, et, sur ce point, se distingue de la femme orientale, voire de la femme grecque : c’est ainsi qu’à Rome, contrairement à ce qui a lieu à Athènes, fils et filles ont des droits égaux sur l’héritage paternel. Mais la fortune qui peut lui échoir ne lui appartient, si l’on ose dire, que nominalement. Elle n’est pas libre de l’aliéner ni de la dénaturer. A quelque âge qu’on la considère, et dans quelque situation, on la voit soumise, en ce qui concerne ses biens, à un contrôle rigoureux et inéluctable. Tant que vit le père de famille, elle est naturellement sous son pouvoir, aussi bien que ses frères : toutes les sommes qui entrent dans la maison, à n’importe quel titre, sont aussitôt versées à la masse de la communauté, et administrées par le chef tout-puissant de cette communauté. Mais, de plus, à la mort du père, alors que les fils deviennent maîtres de faire ce qu’ils veulent de leur part d’héritage, la fille reste incapable d’administrer la sienne comme elle l’entend. Elle passe sous la tutelle de ses plus proches parens, de ceux qui, le cas échéant, hériteraient d’elle, et ont donc comme une sorte d’hypothèque ou de créance anticipée sur ses biens. Sans leur autorisation, elle ne peut accomplir aucun acte qui entraîne, ou qui seulement risque d’entraîner, une diminution de son patrimoine. Même avec leur autorisation, elle ne peut le léguer par testament. C’est qu’en réalité ce