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république, dans lequel on ne rencontre une ou plusieurs interventions féminines. Sous l’empire, cela est encore plus sensible. Les exemples de Livie, inspiratrice d’Auguste, d’Agrippine, maîtresse du monde sous le nom de Néron, sont demeurés célèbres pour avoir été immortalisés par la prose de Tacite et par les beaux vers de Corneille et de Racine ; mais ils ne sont nullement exceptionnels. Du haut en bas de l’échelle sociale, les femmes s’immiscent partout. Sénèque obtient son premier poste, la questure, par les démarches de sa tante maternelle, ce qui ne l’empêchera pas, l’ingrat, d’être un des moralistes les plus misogynes de la littérature latine. Josèphe nous parle d’un gouverneur de Judée nommé grâce à une amie de Poppée ; Philostrate, d’un professeur d’Athènes choisi sur la recommandation de l’impératrice Julia Domna ; Tacite, d’un personnage consulaire qui était arrivé aux plus hautes dignités parce qu’il avait su se concilier la faveur des dames. Dans les provinces, les femmes des gouverneurs assistent quelquefois avec leurs maris aux manœuvres des troupes, haranguent les soldats, reçoivent des placets, sollicitent, — pas toujours par pure bienveillance, — pour les hommes d’affaires compromis dans des négociations véreuses. Les choses en viennent à un tel point, dès le règne de Tibère, qu’on discute au Sénat pour savoir s’il n’y a pas lieu d’interdire aux proconsuls et propréteurs d’emmener leurs femmes : on voudrait le faire, on ne l’ose pas, tant les nouveaux usages ont pris d’ascendant, et les provinces continuent d’être souvent dirigées, — et exploitées, — par les grandes dames romaines autant que par leurs époux. Dans les petites villes, les mêmes phénomènes se reproduisent avec de moins amples proportions : les femmes recommandent des candidats aux fonctions publiques, signent des affiches électorales, comme à Pompéi, patronnent certaines associations, en forment elles-mêmes de nouvelles, où l’on examine les actes des magistrats. Partout, en un mot, dans la vie municipale comme dans celle de l’empire, dans les plus lointaines bourgades comme à la cour ou dans la capitale, la main des femmes se fait sentir. Rien, peut-être, ne montre mieux combien sont trompeuses les fictions officielles et vaines les prohibitions légales, puisque jamais les femmes n’ont été réputées compter pour quoi que ce soit dans la politique romaine, et que jamais pourtant la politique ne s’est faite sans elles.