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IV

Au surplus, la vie d’une société ne consiste pas tout entière en des actes légaux. Si le droit de participer à l’élection des magistrats ou au vote des lois n’est pas négligeable, bien plus important est sans doute celui d’exercer certaines professions qui semblent douées d’un prestige particulier et d’une influence prépondérante. Ce dernier droit, on sait avec quelle ardeur les femmes se sont appliquées, dans la société contemporaine, à le maintenir ou à l’étendre. La situation n’était pas du tout la même dans l’ancienne Rome, et ne pouvait pas produire des luttes aussi vives.

Prenons, par exemple, les deux professions dites « libérales » autour desquelles se sont livrées chez nous les batailles les plus acharnées, celle d’avocat et celle de médecin. Les femmes romaines, pour y arriver, n’avaient à vaincre aucune prohibition légale : c’étaient deux métiers libres, ouverts à tout individu sans condition de capacité aucune, et, semble-t-il, sans condition de sexe non plus. Mais, d’un autre côté, ils ne pouvaient exciter chez les femmes des convoitises aussi fortes qu’aujourd’hui. La médecine était presque toujours un métier d’esclaves ou tout au moins d’affranchis, lucratif parfois, mais, selon les idées des anciens, médiocrement honorable, souvent confondu avec les emplois de domesticité, et en tout cas absolument dépourvu de l’importance sociale que nous lui donnons actuellement. Il n’en est pas de même, à vrai dire, de la profession d’avocat, dont Cicéron, Tacite et Quintilien ont fait un si pompeux éloge : mais elle était peut-être moins estimée pour l’argent qu’on y pouvait gagner que pour l’accès facile qu’elle donnait aux charges publiques. Ceux qui la choisissaient n’étaient pas, en général, ceux qui voulaient s’enrichir, mais ceux qui rêvaient de s’élever aux grandes dignités, et qui, dans ce dessein, travaillaient à se faire connaître du peuple, à obliger beaucoup de gens influens en plaidant pour eux, à se constituer cette clientèle électorale dont le frère de Cicéron, dans son Traité de la candidature au consulat, nous a laissé un tableau si précis et si curieux. En un mot, à Rome plus encore qu’à Paris, le barreau était avant tout le chemin de la tribune. C’est dire que son plus puissant attrait devait forcément rester lettre morte pour