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Nord, dont elle est garante, ne serait plus qu’un vain mot… En « bon chien de garde, » disait encore M. Forcade, elle « entend partager le déjeuner[1]. » Mais en janvier 1860, la vraie campagne de la presse et de la diplomatie helvétique, qui sera très violente, et qui, chose curieuse, sera l’une des causes du revirement de l’Empereur dans l’affaire de la cession, n’était pas activement commencée. Il en était de même, à ce même moment, de la campagne séparatiste qu’allait mener dans la Savoie du Nord un groupe de démocrates helvétisans ; cette campagne, qui sera largement propagée, alimentée par la Suisse, et qui aboutira à une pétition plus ou moins sincère, revêtue de 12 000 signatures, en faveur d’une réunion à la Confédération, ne commença réellement qu’à la fin de janvier (réunion de Boëge, 28 janvier) ; elle n’a donc pu influer sur le projet, alors déclaré, de l’Empereur. Ce n’est pas non plus, quoi qu’on ait dit, aux instances de Cavour que céda Napoléon. Serait-ce à son propre sentiment d’amitié pour la Suisse, de gratitude à l’égard de la Confédération dont il avait été le citoyen, qu’il avait servie comme capitaine d’artillerie et qui, après l’affaire de Strasbourg, avait donné asile au proscrit, malgré les menaces de Louis-Philippe ? Certaines paroles de l’Empereur pourraient le faire croire. Mais, en vérité, la reconnaissance personnelle a-t-elle un tel pouvoir en politique, et peut-on bien croire qu’il ait voulu payer ses dettes privées, au prix d’une trahison des intérêts français, avec des lambeaux d’un pays qui se donnait alors à la France ? Peut-être vaudrait-il mieux voir dans le geste de l’Empereur un effet de certaines appréhensions qu’il aurait conçues sur l’accueil que les puissances, l’Angleterre surtout, feraient à l’annexion savoyarde, un contre-coup tardif du coup de barre de Villafranca et des fluctuations qui s’ensuivirent dans sa politique.

Toujours est-il qu’il ne se passa pas longtemps avant que l’Empereur, par un brusque et nouveau coup de barre, ne revint avec quelque embarras, non pas à la vérité sur des « promesses » qu’il n’avait pas faites, du moins sur des « espérances » qu’il avait autorisées : il abandonne son plan de largesses territoriales à la Suisse et, par une compensation bénévole, décide de créer une zone franche sur ce même territoire qui avait été

  1. Voyez la Revue du 14 février 1860.