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populations, » et ajoute que, « quant aux intérêts politiques et commerciaux qui lient à la Suisse certaines portions de la Savoie, il sera facile de les satisfaire par des arrangemens particuliers[1] : » c’est la promesse de la zone franche, dont le Moniteur du 7 avril sanctionnera l’annonce. Il faut ici reconnaître à la Savoie l’honneur d’avoir, dans des circonstances difficiles, préservé son intégrité nationale, par un beau mouvement patriotique, du danger d’une mutilation sacrilège, et empêché ce crime politique, cette « division de l’indivisible, » comme disait déjà Joseph de Maistre en 1814.

L’idée première de la zone franche n’émanait pas de l’Empereur ; déjà en 1849 elle avait été agitée dans la Savoie du Nord et portée au Parlement de Turin. Ce qui est certain, c’est que l’Empereur s’empressa de l’adopter comme un moyen de faciliter son changement de front, tant vis-à-vis de la Suisse que de la Savoie. Un plébiscite doit avoir lieu en Savoie sur la question de la réunion à la France ; une quasi-unanimité y est désirable : la concession de la zone ralliera les votes de cette Savoie du Nord où pendant six semaines une agitation, en partie factice d’ailleurs, était menée en faveur d’une réunion à la Suisse. Ce don de joyeux avènement n’était peut-être pas indispensable, car les helvétisans du Chablais et du Faucigny eussent été loin de se retrouver au vote aussi nombreux qu’ils paraissaient l’être sur les listes de la pétition suisse, et le plébiscite eût en tout cas réuni une énorme majorité de votes « français. » Mais, d’autre part, il y a la Suisse, dont l’Empereur a imprudemment « autorisé les espérances ; » il y a Genève, dont les revendications économiques lui sont connues. Bien plus qu’à l’avantage des « zoniens, » dont l’Empereur paraît avoir peu de souci puisqu’un mois auparavant il était prêt à les faire suisses, la zone est faite au bénéfice de Genève. Bien que froissé des agissemens helvétiques, il veut pallier les mauvais effets de sa volte-face : en avril, il fera offrir, sans succès d’ailleurs, à la Suisse la cession de quelques communes au bord du Léman ; dans le même esprit de bonne volonté, il décide la zone, fiche de consolation allouée à Genève et aux intérêts genevois ; et si la Confédération refuse alors, comme elle refusera pendant vingt ans, de reconnaître officiellement cette zone de 1860,

  1. Moniteur du 21 mars 1860.