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mangeur ; à ses yeux, le pays est bon lorsque les vivres sont à bon marché. On peut affirmer que l’Algérie sera pour lui la terre maudite de la faim, à moins qu’on ne le place dans des régions agricoles en lui concédant des cultures. Encore faudra-t-il augmenter sa solde et ne pas abuser de l’expédition militaire qui ruine les familles. Dans ces conditions, le soldat noir devient extrêmement coûteux et ne rend pas les services qu’on est en droit de lui demander.

La solution de l’armée noire est donc reculée à une échéance lointaine ; elle dépend de la situation économique de la région qu’on lui destine. Un bataillon sénégalais ne se contente pas d’une caserne, il demande un village et des terres maigres, mais suffisantes pour que le mil pousse dru et haut. C’est une véritable colonisation du pays, à l’écart des populations européennes et du débitant d’alcool. L’Algérie n’offre plus guère de territoires inoccupés ; l’Arabe y vivote sur les parcelles du sol natal qu’on a bien voulu lui laisser. Qu’on envoie le Sénégalais se battre au Maroc, son instinct guerrier lui fait supporter beaucoup d’épreuves parce qu’il les sait passagères. Dès lors qu’il reste en garnison, l’arme au pied, pour occuper un pays, il prétend vivre en famille, procréer, élever des enfans.

On ne saura trop faire appel à son concours dans la tâche ardue que la guerre marocaine impose à la France. Mais si l’on veut garder plus tard des forces noires à proximité de l’Algérie et de la Métropole, le seul moyen d’y parvenir est de faire essaimer, de proche en proche, la population noire elle-même vers le Moghreb. La mise en valeur de la Mauritanie, la jonction économique et stratégique du Maroc et du Sénégal sont seules capables de donner à nos auxiliaires les conditions d’existence qu’ils trouvent dans le reste de l’Afrique. Ce jour-là seulement il sera permis de parler de l’armée noire telle que la désirent tous les officiers qui ont eu l’honneur et la satisfaction de servir dans les troupes sénégalaises.


ANDRE DUSSAUGE.