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II

Pendant près de mille ans en effet l’hellénisme lit triompher dans l’art sa conception à la fois plastique et naturaliste de la beauté. On sait à quel point la fortune des sculpteurs grecs fut prodigieuse : au service des dynastes asiatiques ou des empereurs romains, appelés au même moment par les cités gauloises ou africaines et par les rajahs hindous du lointain Gandhara, ils fournirent des idoles à toutes les religions, des effigies et des symboles à toutes les puissances. Ils poussèrent jusqu’à la perfection l’art du modelage et presque seuls ils eurent dans l’antiquité la science des proportions du corps humain et le sens delà vérité dans les attitudes. La sculpture dans l’espace domine l’art grec tout entier. Non seulement elle permit de couvrir les villes et les places d’un peuple de statues, mais les édifices eux-mêmes relevèrent de son autorité et le modelage servit à profiler dans l’espace les lignes de l’architecture. Les Grecs eurent de l’art une conception exclusivement plastique.

L’évolution de l’art oriental est toute différente. À l’aurore de son histoire, en Chaldée vers le vingtième millénaire, au temps de Goudea et d’Our-Nina, en Egypte à l’époque de l’ancien empire, l’Orient connut des écoles de statuaire. Des œuvres comme le Scribe accroupi du Louvre ou le « Cheik-el-beled » de Boulacq montrent avec quelle délicatesse et quelle précision les maîtres égyptiens savaient rendre les caractères ethniques de leurs modèles. Mais ces qualités très réelles ne tardèrent pas à être étouffées par la recherche de la pompe et du hiératisme. Loin de se développer et de se perfectionner comme en Grèce, la statuaire orientale perdit de plus en plus tout contact avec le modèle vivant.

Dans ce domaine comme dans les autres, les Orientaux manifestèrent leur préférence pour les gestes symétriques et hiératiques : la statue de majesté assise et immobile, l’orant aux deux bras levés ou l’atlante, dont les épaules supportent une architrave, tels sont les sujets de prédilection de la statuaire égyptienne. Devant l’invasion de l’hellénisme qui se produisit en Orient après les conquêtes d’Alexandre, la statuaire indigène ne fut pas longue à disparaître. Il y eut un compromis entre les. formules artistiques du vieil Orient et les procédés de l’art grec.