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élevait encore des statues. On frémit d’ailleurs en songeant aux formes barbares que devaient enfanter ces sculpteurs dégénérés. Le dessin, fait au XVe siècle, de la statue de Justinien nous laisse voir un corps d’enfant aux formes grêles que semble écraser le poids d’une énorme coiffure en plumes de paon. Quelques bas-reliefs du Musée impérial Ottoman, l’ambon de l’Adoration des Mages, les bustes des Evangélistes, le Baptême du Christ sculpté sur un fût de colonne ont encore un certain accent de vérité. Chaque jour cependant se perdent la science des proportions et le sens de la vie. L’humanité des sculpteurs de cette époque devient de plus en plus monstrueuse : sur des corps lourds et trapus s’élèvent des têtes démesurées et le sourire mais des temps archaïques revient animer les figures de cette sculpture en enfance. On sent que la survivance de cet art est due au seul respect de la tradition : l’intérêt politique que les empereurs avaient à ériger leurs propres statues sur les places publiques prolongea sans doute de quelques siècles l’agonie de la statuaire.

Cette tradition elle-même disparut pendant la querelle des images qui fut pour l’art comme pour la société le point de départ d’une ère nouvelle. Les monumens qui datent d’une manière certaine de cette époque sont malheureusement très rares ; du moins ceux des Xe et XIe siècles sont là pour attester le changement profond qui se produisit alors dans le développement de l’art byzantin. Le mouvement iconoclaste, qui débuta avec l’édit de Léon l’isaurien en 726 et qui trouva sa législation dans les décrets du concile d’Hieria en 753, n’a pas un caractère exclusivement religieux ; ce n’est pas la seule vénération des images qu’il met en cause, c’est la question de la légitimité même d’un art chrétien. Non seulement le culte des images fut condamné, mais les images elles-mêmes furent partout détruites avec acharnement. Il y a des ressemblances réelles entre le point de vue iconoclaste et celui des musulmans, et d’ailleurs on sait aujourd’hui que la doctrine religieuse de Léon l’isaurien vint d’Orient. Envisagé dans ses conséquences artistiques, le mouvement est en réalité une nouvelle invasion d’orientalisme qui faillit emporter pour toujours ce qui restait encore des traditions helléniques.

On sait qu’après avoir été imposée quelque temps par la force, la nouvelle doctrine, qui heurtait trop le sentiment populaire, fut abandonnée une première fois en 780, à l’avènement